(Moscou) La police russe a annoncé jeudi, une semaine après les faits, avoir lancé un « examen préliminaire » de l’affaire Alexeï Navalny, victime probable d’un empoisonnement selon ses médecins allemands, mais une piste jusqu’ici mise en doute en Russie.

Interviewé par la télévision publique russe jeudi sur une variété de sujets d’actualité, le président Vladimir Poutine n’a pas eu un mot pour son principal opposant, dont il refuse depuis de nombreuses années à prononcer le nom, tout comme son porte-parole.

La police des transports russe a de son côté annoncé avoir lancé « des examens préliminaires liés à l’hospitalisation d’Alexeï Navalny le 20 août à Omsk », ajoutant que les lieux où il était passé ont été inspectés et « plus de 100 objets qui peuvent avoir valeur de preuve » saisis.

« La chambre d’hôtel dans laquelle il résidait » à Tomsk, ville où il aurait été empoisonné selon ses proches, a aussi été examinée et « les données des caméras de vidéosurveillance analysées », précise-t-elle.

Réagissant à cette annonce, le directeur du Fonds de lutte contre la corruption d’Alexeï Navlany a jugé « très étrange » que ces vérifications interviennent aussi tard. « Lancez donc une enquête criminelle », a écrit sur Twitter Ivan Jdanov.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a toutefois précisé que ces examens sont routiniers et qu’il « n’y a pas de base pour une enquête ». « Rien n’a changé, nous n’avons toujours aucune idée de ce qui a causé l’état dans lequel se trouve le malade », a-t-il déclaré aux journalistes.

Le Parquet russe a lui annoncé avoir demandé à l’Allemagne les données sur la santé de M. Navalny recueillies depuis son transfert à l’hôpital de la Charité de Berlin.  

Il a ajouté n’avoir « aucune preuve d’actes criminels intentionnels contre Alexeï Navalny ». « Il est de pratique courante d’organiser une telle inspection en cas d’accident impliquant des passagers aériens », a précisé le Parquet, en commentant les examens.

Alexeï Navalny, 44 ans, qui s’est fait un nom en dénonçant la corruption de l’élite russe et dans l’entourage de M. Poutine, a été admis en réanimation la semaine dernière dans un hôpital d’Omsk (Sibérie) après avoir fait un malaise dans un avion.

Son entourage a immédiatement dénoncé un empoisonnement et bataillé pour un transfert médicalisé en Allemagne, soupçonnant les médecins russes de s’efforcer de camoufler le crime. Il a finalement été transféré à Berlin, où il est plongé dans un coma artificiel, dans un état grave même si sa vie n’est pas en danger.  

« Pas de poison »

Les médecins allemands soignant l’opposant ont annoncé lundi qu’il avait été intoxiqué par « une substance du groupe des inhibiteurs de la cholinestérase », mais sans pouvoir préciser laquelle.

Ces produits sont susceptibles d’être utilisés, à faible dose, contre la maladie d’Alzheimer.  Mais en fonction du dosage, ils peuvent être très dangereux et produire aussi des agents neurotoxiques puissants, du type de l’agent innervant Novitchok.

Le Kremlin s’est dit mercredi « en désaccord total » avec ces « formulations hâtives » : « Comment peut-on parler d’empoisonnement s’il n’y a pas de poison ? », a notamment déclaré Dmitri Peskov.

M. Peskov a toutefois affirmé que la Russie « avait clairement intérêt à ce que l’on comprenne ce qui a plongé dans le coma le patient soigné dans une clinique berlinoise ».

Berlin, Paris, Washington ou encore Londres ont tous demandé à Moscou d’enquêter sur cet empoisonnement supposé.

Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a ainsi déploré lundi que la Russie ne « joue » pas la « transparence » dans cette affaire.

Pour le Fonds de lutte contre la corruption d’Alexeï Navalny, ce sont les enquêtes visant des proches du Kremlin qui ont valu à l’opposant d’être empoisonné, citant celles ayant visé un homme d’affaires proche du président, Evguéni Prigojine ou encore la famille de premier ministre Mikhaïl Michoustine.

Evguéni Prigojine, d’ordinaire très discret et suspecté d’être lié à une « usine à trolls » que Washington accuse d’ingérence électorale et à l’opaque groupe de mercenaires Wagner, a promis mercredi de « ruiner » l’opposant dans le cadre de poursuites pour un litige autour d’une société de restauration.