L’opposant russe, entre la vie et la mort, a obtenu le feu vert pour son transfert médical vers l’Allemagne

Branché sur un respirateur artificiel, dans le coma, l’opposant russe Alexeï Navalny a pu quitter l’hôpital de Sibérie où il était traité pour être transporté en Allemagne. L’homme, possiblement victime d’un empoisonnement, a été évacué en direction de Berlin, samedi matin.

« Nous sommes optimistes », a dit à La Presse plus tôt dans la journée, vendredi, Jaka Bizilj, directeur de l’organisme allemand Cinema for Peace Foundation, qui a affrété un avion médical pour transporter M. Navalny à l’hôpital de la Charité, à Berlin. Six personnes se trouvaient à bord, dont du personnel médical.

PHOTO FABRIZIO BENSCH, REUTERS

Jaka Bizilj, directeur de l’organisme allemand Cinema for Peace Foundation

Jaka Bizilj, producteur de films engagés, dit avoir reçu un appel de Nadejda Tolokonnikova, du groupe Pussy Riots, jeudi. « Quand Piotr Verzilov a été empoisonné, il y a deux ans, nous l’avons fait venir par avion à Berlin et aidé à survivre, a-t-il expliqué. On m’a demandé si je pouvais aider Alexeï Navalny et j’ai dit oui. »

L’hôpital d’Omsk, où a été admis l’opposant jeudi, a donné son feu vert vendredi à son transport vers l’Allemagne, affirmant que son état était « stable », après s’y être initialement opposé.

Des journalistes de l’AFP ont vu l’avion décoller de l’aéroport de cette ville de Sibérie occidentale.

« Merci à tous pour votre persévérance. Sans votre soutien, nous n’aurions pas pu l’emmener ! », a remercié sur Instagram la femme de l’opposant, Ioulia Navalnaïa, qui l’accompagne sur le vol, publiant une photo du brancard de son mari embarqué dans l’avion.

« L’avion avec Alexeï s’est envolé pour Berlin. Un grand merci à tous pour votre soutien. La lutte pour la vie et la santé d’Alexeï ne fait que commencer, et il reste encore beaucoup d’épreuves à traverser, mais maintenant au moins le premier pas a été franchi », a déclaré sur Twitter la porte-parole de l’opposant, Kira Iarmych.

Cris de douleur

Figure bien connue de l’opposition russe, Alexeï Navalny a ressenti un malaise peu après le décollage d’un avion devant le ramener de Tomsk à Moscou, mercredi. Selon des témoignages de passagers sur les réseaux sociaux, il s’est rendu aux toilettes, d’où il aurait hurlé de douleur. L’avion a atterri d’urgence à Omsk.

Ses proches soupçonnent l’empoisonnement de son thé à l’aéroport. Les médecins russes ont plutôt avancé un possible « déséquilibre glucidique », hypothèse suscitant des doutes.

Il était fort, en santé, assez jeune, il nageait. On ne tombe pas malade comme ça.

Jaka Bizilj, directeur de l’organisme allemand Cinema for Peace Foundation

« C’est assez étonnant, assez douteux », a souligné Mark-David Mandel, professeur de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Des affaires similaires

Ce n’est pas la première fois que le Kremlin est accusé de vouloir faire taire ses adversaires ; ce n’est pas la première fois non plus que des symptômes inusités laissent croire à un empoisonnement.

PHOTO EVGENIA NOVOZHENINA, REUTERS

Piotr Verzilov, militant politique russo-canadien

L’opposant russo-canadien Piotr Verzilov était aussi soudainement tombé dans le coma, il y a deux ans, mais s’en était sorti après son transfert dans un hôpital de Berlin. Le cas d’Alexandre Litvinenko, mort en 2006 après avoir été empoisonné à Londres, avait également fait grand bruit.

M. Mandel juge que M. Navalny est actuellement l’une des figures les plus en vue de l’opposition au régime de Vladimir Poutine.

L’avocat au regard bleu perçant lutte publiquement contre la corruption depuis une dizaine d’années. Il a tenté de se porter candidat aux élections présidentielles en 2018, mais sa candidature a été refusée compte tenu d’une condamnation pour détournement de fonds – accusation qu’il a toujours niée, attribuant ses déboires judiciaires à une croisade politique de ses adversaires. Il a aussi brigué les suffrages comme maire de Moscou. Alexeï Navalny compte près de 4 millions d’abonnés à sa chaîne YouTube.

Biélorussie

Les soulèvements en Biélorussie après l’élection contestée d’Alexandre Loukachenko pourraient avoir poussé le Kremlin à agir contre ses opposants. Le président de la Biélorussie a reçu l’appui de Moscou au début de la vague de manifestations qui secoue son pays.

En général, avec la pandémie, on voit des gens un peu partout dans le monde se mobiliser. Peut-être que le régime est plus nerveux en raison des évènements en Biélorussie.

Mark-David Mandel, professeur de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal

Le soutien de Vladimir Poutine à son homologue biélorusse n’est toutefois pas indéfectible, les deux hommes ayant eu leurs désaccords dans le passé.

L’homme fort de la Russie fait lui-même face à un mouvement de colère dans l’est du pays, près de la frontière chinoise. « Localement, il y a quand même des mobilisations, et peut-être que le régime, avec ce qui se passe aussi en Biélorussie, voulait se sécuriser, prendre des mesures préventives », avance M. Mandel, en précisant que ce ne sont que des hypothèses pour l’instant.

Alexeï Navalny « avait la capacité de susciter des manifestations contre la corruption », ajoute-t-il.

Ce ne serait pas la première fois que le contestataire aurait été pris pour cible : dans les dernières années, il a aussi été aspergé de teinture et a eu une « réaction allergique sévère » après avoir été détenu l’an dernier.

– Avec l’Agence France-Presse