(Minsk) Des dizaines de milliers de personnes ont battu le pavé jeudi soir en Biélorussie pour protester contre la violente répression du mouvement de contestation ayant suivi la réélection controversée du président Alexandre Loukachenko.

Dans la soirée, les autorités ont annoncé avoir libéré plus de 1000 manifestants, tandis que, dans les rues de la capitale Minsk, la présence policière était bien moins forte qu’au cours des quatre soirées de protestation précédentes, selon des journalistes de l’AFP.

La présidente du Sénat, Natalia Kotchanova, a affirmé à la télévision publique que ces contestataires avaient été relâchés avec l’obligation de ne pas participer à des rassemblements non autorisés.  

Autre concession apparente : le ministre de l’Intérieur, Iouri Karaev, a présenté jeudi ses excuses pour les violences commises contre « des passants » qui n’étaient pas impliqués dans les protestations.

Cela étant, des dizaines de milliers de personnes se sont réunies dans la nuit à plusieurs endroits de Minsk, au milieu des klaxons d’automobilistes et des chants. Des rassemblements similaires étaient également signalés dans au moins six autres villes, sans que la police n’intervienne.

« Nous avons besoin d’un nouveau président ! », « Les Bélarusses, vous êtes géniaux ! », indiquaient à Minsk des pancartes portées par des protestataires, dont beaucoup faisaient le « V » de la victoire, selon un photographe de l’AFP.  

PHOTO SERGEI GRITS, AP

Depuis dimanche, plus de 6700 personnes avaient été interpellées officiellement. De nombreux cas de violences policières et des tortures en détention ont par ailleurs été signalés.

À la prison d’Okrestina, à Minsk, des personnes arrêtées pendant les manifestations étaient libérées dans la nuit de jeudi par petits groupes, en majorité des femmes, a constaté un journaliste de l’AFP.  

Ces libérations ont donné lieu à de poignantes scènes de retrouvailles, alors qu’au moins 500 proches des détenus attendaient devant les murs de la prison. De nombreux ex-prisonniers avaient le visage abattu et ont refusé de s’exprimer.

Dans un communiqué, l’ONG Amnistie internationale a rapporté jeudi des cas de manifestants « mis à nu, battus et menacés de viol » lors de leur détention dans les geôles du régime.

Usines mobilisées

Plus de 1000 chercheurs biélorusses ont signé une lettre « contre la violence », tandis que des soignants se sont regroupés devant leurs établissements. Des artistes de la Philharmonie de Minsk ont aussi entonné des chants patriotiques devant le bâtiment l’abritant.

Selon des médias de l’opposition, des actions similaires ont eu lieu dans d’importantes usines, comme BelAZ (camions), Maz (voiture), Grodno Azot (chimie) et Grodnozhilstroy (BTP).

Plusieurs journalistes de médias d’État ont par ailleurs annoncé leur démission ces derniers jours.

Ces mouvements de protestation interviennent après quatre nuits de répression des manifestations contre la réélection dimanche, jugée frauduleuse par les contestataires, de l’homme à poigne de la Biélorussie, au pouvoir depuis 26 ans, et officiellement crédité de 80 % des voix.

PHOTO SERGEI GRITS, AP

Pour les manifestants, c’est Svetlana Tikhanovskaïa, une novice en politique, qui a gagné, après une campagne ayant suscité une ferveur inédite dans cette ex-république soviétique. L’opposante avait remplacé son mari, un vidéo-blogeur emprisonné.

Réunion extraordinaire de l’UE

Les rassemblements pacifiques se sont étendus alors que la police jugeait que la contestation faiblissait, tout en dénonçant un niveau élevé d’« agressivité ».

Une centaine de policiers ont été blessés, dont 28 hospitalisés. Aucun bilan détaillé n’a été fourni concernant les manifestants, contre lesquels des balles en caoutchouc, matraques et grenades assourdissantes sont utilisées sans retenue.

Les autorités biélorusses ont confirmé la mort d’un homme en détention et celle d’un manifestant à Minsk. Elles ont également reconnu l’usage mardi à Brest de balles réelles, qui ont fait un blessé.

Dans une déclaration commune, les présidents de la Lituanie, de la Lettonie, de la Pologne et de l’Estonie, toutes voisines de la Biélorussie, ont appelé jeudi à l’instauration d’un dialogue avec le peuple biélorusse.

Les États-Unis et l’UE ont dénoncé les fraudes électorales et la répression, les Européens menaçant Minsk de sanctions.  L’ambassadeur de la Biélorussie à Berlin a par ailleurs été convoqué.

Une réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de l’UE doit avoir lieu vendredi concernant la situation dans ce pays.

L’opposante Svetlana Tikhanovskaïa, 37 ans, ne s’est pas exprimée depuis mardi, après son départ précipité pour la Lituanie.  Selon ses partisans, elle a subi des menaces des forces de sécurité.  

Alexandre Loukachenko, 65 ans, n’a jamais laissé aucune opposition s’ancrer. La précédente vague de contestation, en 2010, avait été sévèrement réprimée.