La décision du président de la Turquie, Recep Tayyep Erdogan, de reconvertir en mosquée l’ex-basilique Sainte-Sophie, à Istanbul, suscite de nombreuses critiques à l’échelle internationale qui semblent peu susceptibles d’infléchir sa volonté, même s’il risque d’y avoir un coût diplomatique à payer.

Henri Barkey, spécialiste de la Turquie rattaché à l’Université Lehigh, en Pennsylvanie, pense que ces critiques sont plutôt susceptibles de le servir à court terme pour se faire valoir auprès de la majorité musulmane du pays.

« Ça lui permet de rehausser son statut » en se posant comme un important défenseur de l’islam qui n’hésite pas, relève M. Barkey, à « braver le pape François » ou les dirigeants chrétiens orthodoxes scandalisés par le changement de fonction de l’édifice, inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO.

Le stratagème vise aussi, dit-il, à détourner l’attention des problèmes posés par la pandémie de COVID-19 et la détérioration de la situation économique.

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Recep Tayyep Erdogan, président de la Turquie

Le président turc a formalisé vendredi la reconversion de l’ex-basilique en mosquée peu de temps après que le Conseil d’État, plus haut tribunal administratif du pays, a révoqué une décision datant de 1934 qui en avait fait un musée.

La basilique a été achevée en 537 par les Byzantins et était considérée comme le siège du christianisme orthodoxe. Elle a été convertie en mosquée après la prise d’Istanbul par les forces ottomanes en 1453 et a conservé cette fonction jusqu’à ce que le premier président de la Turquie, Mustafa Kemal Atatürk, décide de « l’offrir à l’humanité » en en faisant un musée.

Indignation en Europe

Le président Erdogan a indiqué que l’édifice, visité par des millions de touristes chaque année, demeurera ouvert à tous les Turcs et étrangers, sans égard à leur confession religieuse.

Sa décision a néanmoins suscité l’indignation de plusieurs pays européens, qui lui ont demandé de faire marche arrière.

Le ministre des Affaires étrangères de la France, Jean-Yves Le Drian, a notamment déclaré que la décision remettait en cause l’un des actes « les plus symboliques de la Turquie moderne et laïque ».

Il a prévenu du même souffle que l’intégrité de ce « joyau religieux, architectural et historique » devait absolument être préservé.

PHOTO OZAN KOSE, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président Erdogan a indiqué que l’édifice, qui est visité par des millions de touristes chaque année, demeurera ouvert à tous les Turcs et étrangers, sans égard à leur confession religieuse.

Selon l’Agence France-Presse, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a redemandé lundi au dirigeant turc de « reconsidérer » et d'« annuler » la conversion annoncée à l’occasion d’une rencontre des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne où les relations avec Ankara ont été discutées.

Bien des pays membres sont actuellement préoccupés par le rôle de la Turquie dans certains conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et évoquent la possibilité de sanctions.

Henri Barkey pense que la décision concernant l’ex-basilique Sainte-Sophie risque d’être reçue par nombre d’entre eux comme une preuve additionnelle de « l’intolérance » du président turc et de ses penchants autoritaires.

« Ils vont être encore moins portés à lui donner le bénéfice du doute » relativement à son intérêt pour la démocratie, relève l’analyste en rappelant qu’un grand nombre d’intellectuels, de journalistes et d’opposants politiques de l’homme fort turc sont aujourd’hui incarcérés.

Erdogan dénonce les critiques

Recep Tayyep Erdogan a fait peu de cas durant la fin de semaine des critiques européennes relatives à la reconversion de l’ex-basilique, arguant que la décision relevait des « droits souverains » de la Turquie.

Il a dénoncé au passage les dirigeants critiques d’Ankara « qui ne bronchent pas contre l’islamophobie dans leur propre pays », suggérant que leur sensibilité aux enjeux confessionnels était à sens unique.

Le ministère des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlut Cavusoglu, a indiqué lundi dans la même veine que le pays rejetait toute remarque portant atteinte à la souveraineté de la Turquie.

L’édifice avait eu le statut de mosquée après la prise d’Istanbul « et doit être utilisé comme une mosquée », a-t-il tranché.