Les petits Suédois ont continué à aller en classe tout le printemps, contrairement aux élèves de nombreux pays. L’heure des vacances sonnera dans un peu moins de trois semaines. Cette semaine, nous avons parlé à des parents suédois pour savoir ce qu’ils pensent de ce choix des autorités.

En mars, Elmon, 13 ans, et Elias, 15 ans, enviaient leur grand frère. Âgé de 18 ans, Emanuel, comme tous les Suédois de plus de 16 ans, suivait ses cours dans le confort de leur résidence de Växjö. Aujourd’hui, c’est plutôt Emanuel qui voudrait faire comme ses frères et revoir amis et professeurs en chair et en os, dit leur mère, Christine Tidåsen.

« Il y a des tonnes de données scientifiques qui montrent à quel point c’est important pour les enfants d’aller à l’école, dit au téléphone la professeure d’université de 48 ans. C’est important pour leur santé mentale, mais aussi pour les enfants de foyers dysfonctionnels. »

La distanciation physique et le lavage des mains font désormais partie de la routine à l’école suédoise. Il n’y a plus d’éducation physique à l’intérieur. Les contacts sont limités.

L’école se fait à distance pour les plus vieux, afin d’éviter les déplacements dans les transports en commun.

La stratégie suédoise face à la COVID-19 intrigue le reste de la planète : le royaume de 10 millions d’habitants a permis aux écoles, mais aussi à la plupart des bars, commerces et restaurants de demeurer ouverts, avec des mesures de distanciation physique. 

Les rassemblements sont limités à 50 personnes. Le télétravail est encouragé.

Les Suédois ont fortement adhéré aux directives de la Santé publique, comme le démontre la chute importante de la mobilité, recensée par Google. Le nombre de morts, lui, se chiffrait à 3925 vendredi, principalement dans les maisons de retraite. Un écart important avec ses voisins, alors que la Norvège recense 235 morts et le Danemark, 561.

Jusqu’à présent, cette ouverture des écoles n’a pas créé de foyer d’infection, selon les données disponibles. « Il y a eu peut-être une ou deux écoles qui ont fermé temporairement, à cause du virus ou du manque de personnel », confirme la présidente du plus important syndicat de professeurs du pays, Johanna Jaara Åstrand.

Dès qu’un membre du personnel a des symptômes, est à risque ou habite avec une personne à risque, il doit rester à la maison. Si la mesure permet de protéger les autres, elle place aussi un fardeau sur les épaules des enseignants, dit Mme Åstrand, qui estime à 25 ou 30 % le nombre d’absents dans le réseau. « On craint plus les problèmes de santé dus au stress et à la surcharge qu’au coronavirus », dit-elle.

Arruda suédois

L’Horacio Arruda de la Suède, Anders Tegnell, continue à avoir la confiance d’une majorité de Suédois.

PHOTO JONATHAN NACKSTRAND, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un Suédois montre son tatouage à l’effigie d’Anders Tegnell, épidémiologiste en chef de la Suède.

Les points de presse de 14 h de l’épidémiologiste en chef sont suivis religieusement, des chansons ont été écrites en son honneur et son visage s’est retrouvé sur des t-shirts, ce qui a propulsé le scientifique au rang de vedette populaire. Mais il n’est pas exempt de critiques.

« La stratégie est immorale, non éthique et inquiétante », juge Lisa Meyler, une femme de 51 ans de Stockholm qui a cosigné deux lettres ouvertes pour appeler le gouvernement à faire volte-face sur la question des écoles.

Immunosupprimée et vivant avec son conjoint asthmatique, elle a retiré de l’école sa fille de 11 ans, Fannie, dès le mois de mars, reprenant elle-même l’enseignement. Malgré tout, elle se sait dans l’illégalité, puisqu’elle n’a pas obtenu d’exemption signée de son médecin, jugeant le fonctionnement du système de santé « compliqué en ce moment ».

À l’automne, je pense que nous n’aurons pas le choix de l’envoyer. J’espère juste qu’à ce moment, il y aura plus d’information disponible sur le virus, sur le syndrome infantile, peut-être des médicaments.

Lisa Meyler

Éducatrice adjointe dans une garderie de la capitale, qui accueille des enfants de 2 à 6 ans, Andreia Rodrigues s’est aussi montrée très critique de l’approche de la santé publique suédoise.

« Nous essayons d’accueillir les petits et de les remettre aux parents à l’extérieur le plus possible, pour éviter le contact, décrit la femme de 26 ans. Mais sinon, c’est juste impossible, la distanciation sociale avec des enfants de cet âge. Oui, on leur montre comment se laver les mains, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne vont pas se mettre un doigt dans le nez tout de suite après. »

Sa grande peur est d’avoir transmis le virus, puisque son fiancé, qui travaille à l’aéroport, a eu des symptômes ressemblant à ceux de la COVID-19. « Je me demande si des gens ont pu mourir à cause de moi », dit-elle. Elle s’inquiète aussi des conséquences de la COVID-19 sur les enfants, alors que les chercheurs se penchent sur une maladie inflammatoire qui pourrait avoir un lien avec le coronavirus.

Tradition de confiance

La Suède n’est pas parfaite, concède l’historien Lars Trägårdh, qui cite le nombre de cas élevés chez les personnes âgées et les immigrés. « Tous les pays ont pris accidentellement des décisions intelligentes et accidentellement des décisions stupides, nuance-t-il. Il faut apprendre les uns des autres. »

La stratégie suédoise est cependant ancrée dans la société, avec une tradition de confiance envers les institutions et de choix laissé aux individus, notamment.

La question de l’égalité hommes-femmes joue aussi un rôle, croit-il, puisque la fermeture des écoles aurait mis plus de poids sur les épaules des mères. Les enfants de milieux plus difficiles bénéficient aussi de l’école. « Il y a la question de s’assurer que le plus petit nombre possible de personnes meurent, mais il y a aussi la question des conséquences pour ceux qui continueront de vivre », ajoute-t-il.