(Istanbul) Le président Recep Tayyip Erdogan a renforcé ces derniers jours les mesures pour endiguer l’épidémie de nouveau coronavirus qui progresse rapidement en Turquie, mais son refus d’imposer un confinement général pour ne pas paralyser l’économie est de plus en plus critiqué.

Rassemblements interdits, déplacements entre villes restreints, port du masque obligatoire quasiment partout : M. Erdogan a utilisé toutes sortes de leviers en dehors d’un confinement général, mais son répertoire s’épuise.

Signe que l’inquiétude grandit, le Parlement a commencé à étudier mardi un projet de loi défendu par le gouvernement visant à libérer jusqu’à un tiers des personnes détenues dans les prisons bondées du pays.

La Turquie a officiellement enregistré depuis le 11 mars plus de 34 000 cas, dont 725 mortels, selon le bilan officiel mardi.

Mais facteur alarmant, la progression de l’épidémie en Turquie est l’une des plus rapides au monde.  

Le nombre de cas double désormais en moins d’une semaine : de 7400 le 28 mars à 15 000 le 1er avril, et il a dépassé 30 000 lundi, selon les chiffres officiels.

« Mieux armés »

Le gouvernement turc a très tôt pris des mesures comme la fermeture des écoles et des espaces culturels, ou encore la suspension de vols avec des pays très touchés.

Celles-ci ont été graduellement renforcées avec un confinement pour les personnes âgées de plus de 65 ans ou de moins de 20 ans, ou encore le placement en quarantaine de dizaines de localités.

Les autorités ont en outre commencé mercredi à envoyer aux foyers des colis contenant des masques, accompagnés d’une lettre du président.

Se voulant rassurant, M. Erdogan y affirme que la Turquie est « l’un des pays les mieux armés pour faire face à l’épidémie de coronavirus », vantant notamment la qualité des hôpitaux.

Mais alors que le nombre de victimes s’envole, de nombreuses voix appellent désormais à suivre l’exemple de l’Italie ou de la France et imposer un confinement général de la population.

« Il faut absolument que chacun reste chez soi, il faut rendre cela obligatoire », déclare à l’AFP un médecin qui traite des patients en soins intensifs dans un hôpital d’Istanbul.

« Limites »

« On reçoit chaque jour de plus en plus de patients. On arrivera bientôt aux limites de nos capacités », ajoute ce médecin, demandant à rester anonyme par peur de représailles.

La plupart des partis d’opposition, des syndicats et des médecins ont eux aussi exhorté le gouvernement à interdire aux gens de sortir.

« Il sera impossible de maîtriser cette épidémie si des millions de personnes […] sortent pour aller travailler », a souligné mardi le président de l’Union des médecins de Turquie (TTB), Sinan Adiyaman.

Dans un entretien avec l’AFP la semaine dernière, le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, a appelé à mettre en place un confinement général dans la capitale économique où plus de la moitié des cas de COVID-19 ont été recensés.

« Même si seulement 15 % de la population sort, on arrive vite à deux millions de personnes », a-t-il souligné.

Si M. Erdogan a pour l’instant refusé de décréter un confinement, appelant plutôt les Turcs à « se mettre volontairement en quarantaine », c’est pour ne pas stopper complètement une économie en pleine convalescence après des années de crise.

Pratique ancestrale

La semaine dernière, le président a affirmé que la Turquie était « dans l’obligation de faire en sorte que les rouages (économiques) continuent de tourner, peu importe les circonstances ».

En attendant un hypothétique durcissement des mesures, de nombreux Turcs ont pris leurs précautions.

La plupart des grandes artères d’Istanbul, comme l’avenue Istiklal, sont quasiment vides.

De nombreux Turcs sont revenus à la pratique ancestrale du panier en osier suspendu par la fenêtre pour s’approvisionner ou misent sur les services de livraison.

Le médecin de l’hôpital d’Istanbul salue le « bon sens » de ses concitoyens et les « bonnes mesures » qui ont été prises par le gouvernement, notamment l’augmentation du nombre de tests de dépistage -plus de 200 000 à ce jour.

Mais, prévient-il, « si le nombre de cas continue d’augmenter aussi vite, le résultat sera le même qu’ailleurs : de nombreuses pertes de vies. On a déjà perdu beaucoup de temps ».