(Londres) Voilà, c’est fait. Après 47 ans de vie commune, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont finalement divorcé, vendredi, à 23 h, heure de Londres. Dans les rues de la capitale, l’humeur était tantôt à la victoire, tantôt à la déprime. Mais aussi, beaucoup, au soulagement. Le feuilleton du Brexit serait-il enfin terminé ? Pas tout à fait. Car le plus dur reste à venir…

Qui l’eût cru ? Après trois ans et demi d’un interminable feuilleton politique, le Brexit a finalement eu lieu. Le divorce a officiellement été prononcé hier soir à Parliament Square, au centre de Londres, dans une ambiance hautement patriotique.

À 23 h tapantes, après un décompte digne du Nouvel An, les milliers de personnes qui s’étaient déplacées pour ce « moment historique » ont levé le poing en ciel en hurlant : We’re out ! (« On en est sortis »). La bière coulait à flots. Les Union Jacks, drapeau du Royaume-Uni, se comptaient par centaines. On se serait presque cru dans un match de l’équipe anglaise à la Coupe du monde, si ce n’était des messages politiques, qui ont ponctué toute la soirée.

Le politicien Nigel Farage, grand artisan du Brexit, est le dernier à être monté sur la scène, installée pour l’occasion au pied de la cathédrale de Westminster. C’était de toute évidence son moment. Galvanisé par cette victoire longtemps attendue, le fondateur des partis europhobes UKIP et Brexit Party a livré un discours aux relents populistes (« pour la première fois, le peuple a vaincu l’establishment ») et rappelé que le « vrai gagnant » de cette soirée était « la démocratie ».

On a bien cru, en effet, que le Brexit n’aurait jamais lieu, et ce, malgré la victoire du Leave (pour un divorce avec l’Union européenne [UE]) lors du référendum du 23 juin 2016. On ne reviendra pas sur cette saga pleine de rebondissements, mais disons que le chemin fut long et ardu avant d’y arriver.

Aux yeux des partisans du Brexit présents hier, ce party n’en avait que plus de valeur symbolique. Comme une sorte de revanche. « Je ne serais pas là si on était sortis il y a un an et demi comme prévu. Quel soulagement ! », lance John Calver, drapeau britannique noué autour du cou.

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Les Union Jacks, drapeau du Royaume-Uni, se comptaient par centaines à Londres.

Selon tous ces gens, la sortie du Royaume-Uni n’est rien de moins qu’une libération. Plus besoin de se plier aux règles de l’Union européenne. Plus besoin de subir des décisions prises à Bruxelles, qui selon eux les désavantagent. Le Royaume-Uni dicte maintenant ses propres lois et sa propre politique commerciale.

« Il était temps », ajoute Kate Marshall, qui a fait près de 300 kilomètres pour être de la fête. « Maintenant, on peut contrôler notre destin. »

Inquiets ? Il s’est dit beaucoup de choses sur les retombées économiques du Brexit. Que la Grande-Bretagne y perdrait au change, notamment. Mais, finalement, ils s’en moquent. « Le plus important, c’est qu’on retrouve notre souveraineté. Après, on verra bien », lance Simon Earfield.

Comment échouer, de toute façon ? En retrouvant son indépendance, le Royaume-Uni ne peut selon eux que réussir. « Make Great Britain great again, lance Kate Marshall. Ce n’est pas qu’on rejette les autres pays : c’est simplement que, maintenant, on va défendre nos intérêts. Ça ne peut qu’être bon ! »

Pauvres pro-Remain

C’était beaucoup plus triste, quelques heures plus tôt, pendant le pauvre rassemblement des anti-Brexit devant le 10, Downing Street, où se trouve la résidence du premier ministre. Ils étaient une petite centaine, l’air penaud, à brandir leurs drapeaux européens qui flottaient mollement au vent et leur tombaient sur le visage. « Je suis venu pour exprimer mon désaccord. Et je n’arrêterai pas de l’exprimer », lance Simon Humphries, militant pro-Europe de la première heure.

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Des manifestants anti-Brexit ont exprimé leur désaccord, vendredi.

À leurs yeux, le divorce entre le Royaume-Uni et l’UE est une tragédie dont les conséquences, économiques, politiques et culturelles, n’ont pas fini de se faire sentir. « Aujourd’hui, nous rapetissons, nous nous isolons. » 

Leur seul espoir : que la prochaine génération répare ce qui vient d’être brisé. « Le verrai-je de mon vivant ? Je n’en sais rien. J’en doute », conclut Mark Daly, avant de suivre le petit cortège qui se met en marche sous les sarcasmes des partisans du Brexit, venus les provoquer pour la dernière fois.

Et maintenant ?

Officiellement, le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’Union européenne. Ses députés ne siègent plus à Bruxelles, et le pays n’a plus voix au chapitre dans les institutions européennes.

Dans les faits, c’est un peu plus compliqué. Débute aujourd’hui une période de transition, d’une durée de 11 mois, pendant laquelle les deux parties devront poser les bases de leur nouvelle relation, notamment en ce qui concerne la sécurité et le commerce.

Le 31 décembre 2020, si tout se passe comme prévu, le Brexit deviendra réalité. Mais les négociations s’annoncent fastidieuses. Et le temps est court. À moins que Londres et Bruxelles ne s’entendent pour prolonger le processus… Option qu’écarte pour le moment Boris Johnson.

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Boris Johnson, premier ministre du Royaume-Uni

Le premier ministre joue pour l’instant la carte de l’optimisme. Fort de son nouveau slogan, Global Britain, il évoque le début d’une « nouvelle ère » commerciale pour le Royaume-Uni. Libéré des contraintes et des règles de l’UE, le pays peut désormais négocier des accords de libre-échange avec qui bon lui semble, à commencer par les États-Unis de Donald Trump.

Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Et pour le politologue Steven Fielding, personne ne peut prédire à quoi ressemblera cette « nouvelle ère ».

« Johnson fait de son mieux pour laisser croire qu’il y aura plein de possibilités. Les gens pensent que la Grande-Bretagne sera libérée, que ce sera le début d’un âge d’or, lance M. Fielding. Mais, en fait, on n’en sait rien. Personne ne sait ce que donneront ces négociations. Il y a aussi des hypothèses moins intéressantes. Et tout cela prendra du temps. Il faudra des années avant que l’on connaisse les vraies conséquences du Brexit sur l’économie britannique – une décennie peut-être. »

Exacerber les divisions

Une certitude : le feuilleton du Brexit a eu un effet choc sur le Royaume-Uni, qui se trouve aujourd’hui plus déchiré que jamais.

« Les tensions se sont exacerbées, et la politique est devenue plus antagoniste, plus violente. Je vous rappelle qu’une députée pro-européenne [la travailliste Jo Cox] a été assassinée quelques jours avant le référendum, ce n’est pas rien, résume Steven Fielding. On ne sait pas si tout cela laissera une marque sur la politique britannique. Avec du recul, on verra peut-être ça comme une folie temporaire. Ce dont je suis sûr, c’est que le Brexit a dramatisé les divisions qui régnaient déjà en Grande-Bretagne. Entre régions. Entre générations. Entre classes sociales. Et même à l’intérieur des partis politiques… »

De l’avis de la première ministre de l’Écosse, Nicola Sturgeon, le Brexit est un argument de poids pour réclamer de nouveau l’indépendance. L’Écosse avait voté à plus de 60 % contre une sortie de l’Union européenne. Mme Sturgeon martèle que son pays est aujourd’hui arraché « contre son gré » à l’Union européenne et laisse planer la menace d’un second référendum pour l’indépendance. 

Seul hic : le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson, dit qu’il ne l’autorisera pas, ce qui annonce d’intéressants affrontements constitutionnels.

Il faudra suivre aussi ce qui se passe en Irlande du Nord, qui a voté à 56 % contre le Brexit. L’accord signé avec Bruxelles stipule que la province britannique restera, dans les faits, dans l’union douanière et le marché unique européen, du moins pour un temps, afin d’éviter le retour d’une frontière dure avec la république irlandaise.

Selon certains, ce serait le premier jalon d’une éventuelle réunification des deux Irlandes. À suivre.

Le Brexit en huit dates

23 juin 2016

Stupeur au Royaume-Uni : lors du référendum pour le Brexit, le camp du Leave (quitter l’UE) l’emporte avec 51,9 % des suffrages, même si l’Écosse et l’Irlande du Nord votent majoritairement pour le Remain (rester dans l’UE). Le premier ministre David Cameron démissionne le lendemain ; Theresa May lui succède.

29 mars 2017

Londres enclenche officiellement la procédure de divorce. C’est le début des négociations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Les parties ont deux ans pour trouver un accord satisfaisant, notamment en ce qui concerne la frontière entre l’Irlande du Nord et la République irlandaise.

13 novembre 2018

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Theresa May

Theresa May – qui a entre-temps perdu sa majorité – tente de faire valider l’accord de sortie conclu avec Bruxelles. L’entente ne satisfait personne. Le Parlement britannique la rejettera trois fois : les 15 janvier, 12 mars et 29 mars 2019.

29 mars 2019

C’était la date prévue pour le Brexit. Mais, faute d’un accord validé, la sortie du Royaume-Uni est repoussée au mois d’avril, puis au 31 octobre 2019, et enfin au 31 janvier 2020.

23 juillet 2019

PHOTO PETER NICHOLLS, ARCHIVES REUTERS

Boris Johnson a succédé une Theresa May à bout de ressources.

Chantre du Brexit depuis la première heure, Boris Johnson succède une Theresa May à bout de ressources. Le nouveau premier ministre réussira-t-il où Mme May a échoué ? Il se dit prêt à tout pour réussir… y compris suspendre le Parlement britannique, ce qu’il fera deux mois plus tard, avant que la Cour suprême le déboute.

12 décembre 2019

Fort d’un nouvel accord aux changements superficiels obtenu à Bruxelles, Boris Johnson déclenche le 31 octobre des élections anticipées dans l’espoir d’obtenir la majorité qui lui manque pour faire passer son deal. Pari gagné le 12 décembre : huit jours plus tard, le nouveau Parlement valide le projet de loi sur le Brexit.

31 janvier 2020

PHOTO DANIEL LEAL-OLIVAS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Lors du référendum pour le Brexit, le camp du Leave (quitter l’UE) l'a emporté avec 51,9 % des suffrages.

Le divorce est officiellement prononcé. Après 47 ans de vie commune, le Royaume-Uni quitte l’Union européenne. Les deux parties ont un an pour négocier leurs relations futures.

31 décembre 2020

La nouvelle entente entre l’UE et le Royaume-Uni entrera théoriquement en vigueur… à moins qu’elle ne soit repoussée, faute d’accord… Hypothèse que Boris Johnson exclut formellement.