(LONDRES) À moins d’un revirement, les 50 000 chauffeurs d’Uber de Londres ne pourront bientôt plus se perdre dans ses petites allées labyrinthiques : la capitale britannique a refusé cette semaine de renouveler le permis de l’entreprise.

En cause, les « erreurs en série » commises par la multinationale dans son processus d’autorisation des chauffeurs. Partage de compte entre plusieurs chauffeurs ou chauffeurs suspendus qui ouvraient simplement un nouveau compte : parce qu’elle voulait être rapide et flexible, Uber n’était pas assez sévère.

Le géant du transport doit maintenant espérer gagner la contestation qu’il a aussitôt déposée – qui lui vaut le droit de continuer à exercer ses activités – et croiser les doigts pour que l’exemple londonien ne donne pas envie à d’autres villes de sévir.

Mais pour Sam Mortada, rencontré dans le nord du quartier de Covent Garden, l’enjeu n’est pas international : il le concerne personnellement. L’homme offre ses services sur Uber depuis trois ans et il s’agit de son unique source de revenus.

« Ce n’est pas une bonne décision ; bien sûr que j’ai peur de perdre mon travail », a-t-il dit, interrompant sa lecture d’un livre, derrière le volant d’une Prius à l’arrêt. « Je pourrais trouver un autre emploi s’il fallait arrêter, mais Uber, c’est mieux. »

Le chauffeur aime pouvoir établir son propre horaire. « Du côté de l’argent, c’est correct, mais c’est surtout bien parce que c’est flexible », a-t-il continué.

Richard Bentley conduit un taxi londonien classique, noir de jais et dessiné comme une auto ancienne. À l’arrêt près d’un hôtel de luxe, à un jet de pierre du grand magasin Selfridges, il a une opinion complètement contraire sur les conditions de travail de ses compétiteurs.

« C’est de l’esclavage des temps modernes », a-t-il dit, avant de se lancer dans une tirade anti-immigration. Selon lui, de telles plateformes trouvent de la main-d’œuvre parce que trop de nouveaux arrivants sont admis au Royaume-Uni. 

Ils reçoivent des miettes pour ce qu’ils font et doivent travailler des heures impossibles, 15 ou 18 heures par jour, alors qu’Uber empoche beaucoup d’argent.

Richard Bentley

À Londres, depuis 1865, à l’époque des calèches, les chauffeurs de taxi doivent passer un test complexe baptisé « Knowledge of London », au cours duquel ils doivent prouver qu’ils connaissent par cœur la carte routière de la ville, ses milliers de rues, ses hôtels et ses points d’intérêt.

PHOTO ANDREW TESTA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

À Londres, depuis 1865, à l’époque des calèches, les chauffeurs de taxi doivent passer un test complexe baptisé « Knowledge of London ». Ce chauffeur en est à sa 18e tentative.

« Il nous faut trois ans pour tout apprendre afin d’obtenir notre permis », a fait valoir George, un collègue de M. Bentley, qui n’a pas voulu fournir son nom de famille par crainte de représailles.

Les chauffeurs travaillant pour Uber, eux, n’ont pas à passer de test semblable – tout comme les chauffeurs de « minicabs », ces taxis sans lanternon, qui ne peuvent être hélés dans la rue et doivent être réservés.

« Ils ne savent pas où ils vont », se moque Richard Bentley. « Uber n’aurait simplement jamais dû recevoir de permis d’exploitation. » Les deux hommes s’entendent pour affirmer que leurs revenus ont fait un plongeon depuis l’arrivée de la plateforme à Londres, en 2012.

Système « aisément manipulable »

Uber s’était déjà fait retirer l’autorisation d’exercer ses activités dans la capitale britannique il y a deux ans, mais la justice avait infirmé la décision.

Cette fois, l’agence publique Transport for London fait toutefois valoir que les clients de la plateforme sont mal protégés lorsqu’ils se déplacent avec Uber. « Nous n’avons pas la conviction qu’Uber dispose d’un système de sécurité robuste », a écrit l’organisation dans un communiqué. Au moins 14 000 déplacements auraient été effectués par des chauffeurs qui n’étaient pas en règle au cours des dernières années.

« Aucune de ces courses n’était donc couverte par l’assurance d’Uber », a noté Transport for London. « Nous reconnaissons les efforts effectués par l’entreprise pour lutter contre ces activités, mais son système semble demeurer aisément manipulable. »

Uber s’est dite déçue de la décision de l’agence.

« C’est une décision exceptionnelle et une mauvaise décision », a répliqué Jamie Heywood, le patron d’Uber au Royaume-Uni, au micro de la BBC. Il a fait valoir qu’il s’agissait de problèmes isolés qui ne justifiaient pas le retrait du service des rues de Londres.