(Saint-Pétersbourg et Moscou) Un historien russe renommé, qui a reconnu avoir tué et dépecé sa compagne, a été placé en détention provisoire, un crime qui suscite un débat sur l’impunité des auteurs de violences conjugales en Russie.

À l’issue d’une audience lundi après-midi devant un tribunal de Saint-Pétersbourg, un juge a placé Oleg Sokolov, titulaire d’une chaire d’histoire à l’université d’État de la ville et grand spécialiste de Napoléon, en détention provisoire jusqu’au 8 janvier.

La police avait extrait l’éminent professeur, en état d’ébriété, samedi matin de la rivière Moïka, dans l’ancienne capitale impériale, portant un sac à dos où se trouvaient deux bras de femme et un pistolet d’alarme.

Depuis, à une poignée de kilomètres, d’autres fragments du corps de la victime ont été retrouvés dans un autre cours d’eau.

L’historien de 63 ans a avoué avoir tué et démembré une de ses anciennes étudiantes, Anastassia Echtchenko, 24 ans, dont il partageait la vie.  

Blême, mal rasé, vêtu d’un jean et d’un pull rouge, M. Sokolov, un habitué des reconstitutions historiques flamboyantes en costume de l’époque du Premier Empire français (1804-1814), s’est couvert le visage des mains devant le juge pour sangloter avant d’accuser la victime de l’avoir attaqué la première.  

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Oleg Sokolov déguisé en Napoléon lors d'une reconstitution historique près de Moscou en 2005.

«Ces derniers temps, elle devenait folle lorsqu’il était question de mes enfants» d’un précédent mariage, a-t-il dit au juge. Selon lui, la «jeune femme idéale s’est transformée […] elle a attaqué au couteau».

«Je suis en état de choc, j’ai des remords», a-t-il ajouté.  

Son avocat, Alexandre Potchouev a évoqué la possibilité de plaider la «légitime défense».

Fléau de la violence

Plus tôt dans la journée, Sergueï Echtchenko, le frère de la victime, avait affirmé lui que «la jalousie» était à l’origine du crime.  

«Elle lui a dit qu’elle se rendait à l’anniversaire d’un ami étudiant. Il l’a passée à tabac, elle est sortie quand même puis elle est rentrée…», a-t-il relaté au site d’information RBK.

Des associations voient dans cette affaire une nouvelle illustration du fléau des violences faites aux femmes, alors que la Russie a décriminalisé en 2017 les violences familiales et conjugales dans la majorité des cas.  

La militante pour les droits des femmes Alena Popova a dénoncé un système judiciaire «pourri qui protège les hommes violents jusqu’au moment où l’on a un cadavre. On aurait pu empêcher ce meurtre».

Selon le quotidien populaire Moskovski Komsomolets et une pétition lancée sur le site Change.org, M. Sokolov avait déjà été mis en cause pour des faits de violences.

La pétition, qui a recueilli quelque 6300 signatures en quelques jours, accuse la direction de l’université d’inertie face au comportement pourtant «monstrueux» de ce professeur.

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Oleg Sokolov

Dans un premier temps, le directeur de l’institut d’histoire de l’université employant l’historien, Abdoulla Daoudov, a vanté les qualités d’Oleg Sokolov et affirmé que «ni les étudiants ni les enseignants ne se sont plaints de lui».

Mais après l’annonce du placement en détention, l’université de Saint-Pétersbourg a annoncé qu’Oleg Sokolov était «démis de ses fonctions».

Une étudiante, qui avait eu une liaison avec Oleg Sokolov en 2008, avait déposé une plainte, affirmant qu’il l’a attachée à une chaise, frappée au visage et menacée de la marquer au fer rouge parce qu’elle voulait le quitter, selon Moskovski Komsomolets qui publie la plainte en question.

Aucune mesure disciplinaire n’avait pourtant été prise, selon les auteurs de la pétition qui ont adressé leur texte au président Vladimir Poutine, un ancien de cette université, et réclamé la démission du doyen et de plusieurs autres responsables universitaires.

Un étudiant de l’université affirme que les tendances violentes du professeur étaient bien connues. «Il y a eu des mises en garde, mais personne n’y a fait attention», assure Ivan Poustovoit.

«C’est une preuve de l’impunité dont bénéficient (en Russie) les hommes violents», dénonce Alena Sadikova, qui dirige le centre Kitej d’assistance psychologique aux femmes.

Interrogé par la presse, le porte-parole du Kremlin a condamné un «crime effroyable», mais a refusé de lier le meurtre à un débat plus large.

«Dans de telles situations, lorsque tout semble indiquer qu’il s’agit d’un acte de folie, c’est le tueur qu’il faut accuser», a dit Dmitri Peskov.