(Paris) Le Québec n’est pas le seul à se débattre avec sa politique d’immigration. En France, le gouvernement souhaite instaurer de nouvelles mesures « inspirées du Canada » qui ne font pas l’unanimité.

Ils en avaient parlé. Ils l’ont fait.

Après avoir préparé le terrain dans les dernières semaines, le gouvernement français a annoncé cette semaine une vingtaine de mesures destinées à réguler l’immigration sur son territoire. Cette politique, que l’exécutif dit inspirée du modèle canadien, ne fait pas l’unanimité.

« Nous voulons reprendre le contrôle de notre politique migratoire », a dit le premier ministre Edouard Philippe, mercredi, aux côtés de Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, et Muriel Pénicaud, ministre du Travail.

« Le sens général de notre action, c’est la souveraineté », a-t-il poursuivi, assurant que ce plan exposait des « choix clairs en matière d’accueil et d’intégration ».

Quotas sur l’immigration économique, augmentation du temps d’attente pour les demandeurs d’asile avant d’accéder aux soins de santé gratuits, lutte contre les fraudes à l’assurance maladie ou à la réunification familiale, resserrement autour de l’immigration clandestine : les nombreux points, présentés dans le détail, n’ont pas manqué de faire débat, dans un pays où la question de l’immigration est particulièrement sensible.

De toutes les mesures préconisées, l’instauration de « quotas » demeure pour l’instant la plus critiquée. Il s’agirait de donner une direction à l’immigration économique en fonction des besoins de main-d’œuvre, à court et moyen terme, dans certains secteurs de l’emploi dits « en tension », autrement dit, où il « manque de bras ».

PHOTO CHARLES PLATIAU, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre de la France, Edouard Philippe

Les quotas et les secteurs seraient revus chaque année à partir de 2021. À l’heure actuelle, il y aurait de 150 000 à 300 000 emplois non pourvus dans l’Hexagone. Paradoxe : le pays compte aussi 3 millions de chômeurs. Mais leurs compétences ne correspondent pas nécessairement aux besoins immédiats.

L’exemple canadien

Envoyée sur le front médiatique pour défendre ces nouvelles mesures, la ministre du Travail Muriel Pénicaud a plusieurs fois donné l’exemple du modèle canadien, celui d’une immigration choisie selon les secteurs où il y a demande.

Mais la comparaison est un peu forcée et la réalité plus complexe, estime Matthieu Tardis, du Centre immigrations et citoyennetés, à l’Institut français des relations internationales (IFRI).

Le Canada a certes connu un certain succès en ayant recours à la main-d’œuvre étrangère en vertu de son système à points. Mais l’expert souligne que les « enjeux », les « besoins » et les « visions » ne sont pas les mêmes.

Au Canada, où l’immigration économique représente 60 % des arrivées au pays, les « objectifs » relèvent d’un « vrai service de planification en termes d’accompagnement et d’intégration », dit-il, alors que la France, où l’immigration économique dépasse à peine les 13 %, est selon lui « plus limitée » dans ce domaine.

De plus, ce qui fonctionne ici ne fonctionne pas nécessairement là-bas.

« Il y a cette idée, en France, que le Canada maîtrise complètement son immigration, dit-il. C’est peut-être vrai, mais on n’est pas dans la même situation, observe M. Tardis. Parce qu’il est moins accessible, le Canada peut contrôler plus facilement qui entre sur le territoire. On ne peut pas avoir en France cette approche quasi insulaire que le Canada peut avoir, parce qu’on n’a pas les moyens de sélectionner les étrangers avant leur arrivée sur le territoire français. »

Selon Matthieu Tardis, citer le « modèle canadien » doit plutôt être vu comme une façon de faire passer la pilule.

« Le modèle canadien en immigration, c’est un peu le marronnier des responsables politiques en France. Ça fait 15 ans que je travaille sur la question et ça revient toujours. Ça donne une bonne image, c’est vu comme positif », dit-il.

Vives critiques de l'opposition

Sans surprise, les nouvelles mesures ont été vivement critiquées par l’opposition, particulièrement à gauche, où le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a dénoncé des dispositions « inconséquentes sur le plan sanitaire et scandaleuses sur le plan humanitaire ».

Professeur à Sciences Po Grenoble, Olivier Ihl rappelle que la question des quotas avait été « beaucoup débattue » à l’époque de Sarkozy, puis remise de l’avant par d’autres ténors de la droite comme Alain Juppé et François Fillon, et qu’elle fait désormais office de « marqueur » sur le plan idéologique.

Cet ancrage dans le débat public fait en sorte que, pour une partie de la gauche, c’est une ligne symbolique qui a été transgressée.

Olivier Ihl, professeur à Sciences Po Grenoble

Simple calcul politique, ajoute-t-il.

En se positionnant à droite sur la question de l’immigration, Emmanuel Macron entend en effet « siphonner » des voix au parti Les Républicains (droite), mais surtout au Rassemblement national (ancien Front national, d’extrême droite), en vue de l’élection présidentielle de 2022, où l’on annonce déjà un match retour entre Macron et Le Pen.

« On assiste en France à une dérive droitière des attentes électorales et [Macron] tente de coller à ces attentes », résume Olivier Ihl.

Pour l’instant, le pari semble lui sourire : selon un sondage Odoxa publié hier, 61 % des Français disent approuver les quotas d’immigrés par métier alors que plus de 60 % sont favorables au durcissement des conditions des dispositifs médicaux et de réunification familiale.

— Avec l’Agence France-Presse