Piégé dans un cul-de-sac par ses propres Communes, Boris Johnson a choisi une voie risquée pour concrétiser le Brexit qu’il a tant vanté aux Britanniques : des élections générales.

Le premier ministre espère ainsi acquérir la majorité parlementaire qui adopterait son entente de divorce avec l’Union européenne (UE) et sortirait le Royaume-Uni de l’incertitude. Il dirige actuellement un gouvernement minoritaire.

« Ce que j’offre au pays, c’est une chance de conclure le Brexit, de finalement mettre cela derrière nous », a-t-il expliqué la fin de semaine dernière dans une grande entrevue préélectorale accordée à la chaîne SkyNews. « Votez pour les conservateurs et nous pourrons nous attaquer aux enjeux qui tiennent réellement à cœur aux Britanniques : investir dans notre système de santé, […] augmenter le financement de nos écoles et embaucher 20 000 policiers supplémentaires. »

M. Johnson parie donc sur le ras-le-bol des Britanniques par rapport à un débat qui s’étire depuis 2016, avec trois échéances supposément finales manquées coup sur coup.

La dernière était le 31 octobre dernier. Le premier ministre avait dit préférer « mourir dans un fossé » plutôt que d’être à la tête d’un pays membre de l’Union européenne après l’Halloween. Le Parlement en a décidé autrement et a préféré temporiser.

« Je le regrette profondément », a-t-il ajouté au cours de l’entrevue, après s’être excusé. « Mais ce que nous devons faire maintenant, c’est avancer et boucler la boucle. »

Malgré son image plutôt négative à l’étranger, Boris Johnson est apprécié par une large proportion des Britanniques. Selon la firme de sondage YouGov, qui tient un palmarès en continu, M. Johnson est le politicien le plus populaire au pays, avec 34 % d’opinions positives : il mène tant parmi les hommes que les femmes, tant parmi les milléniaux que les baby-boomers.

Corbyn en difficulté

Fin septembre, au palais de Westminster. Boris Johnson vient d’encaisser un revers important alors que la justice a annulé la suspension des travaux du Parlement qu’il avait décidée. Contrairement à ce que le premier ministre avait prévu, il devra faire avec les Communes alors qu’il tente de négocier une entente avec l’UE.

En Chambre, les parlementaires sont déchaînés. Pour la deuxième fois ce mois-ci, Boris Johnson invite son vis-à-vis Jeremy Corbyn à faire le nécessaire pour déclencher des élections. Ses députés font des signes de la main, comme pour inviter les banquettes d’en face à un combat. Le chef travailliste Jeremy Corbyn refuse, faisant valoir que le dossier du Brexit devait être réglé avant des élections. « Ça doit être la première fois que l’opposition officielle refuse une invitation à des élections », réplique M. Johnson.

M. Corbyn avait peut-être en tête les sondages qui lui prédisent une défaite : le Parti conservateur aurait 12 points d’avance sur les troupes travaillistes, selon les données de YouGov. L’écart était semblable plus tôt cet automne.

La semaine dernière, le chef travailliste a finalement accepté le duel que lui proposait Boris Johnson.

Lundi matin, le Guardian faisait sa une avec une entrevue de Corbyn. Il y tentait de recadrer le débat pour s’éloigner de l’enjeu du Brexit. « Cette élection porte sur l’avenir de ce pays, sur l’environnement, sur notre cohésion sociale, a-t-il dit. Nous ne pouvons nous permettre de continuer avec autant d’austérité, de pauvreté, d’inégalités et d’injustices. Nous devons avoir un gouvernement qui s’y attaque et nous pouvons le faire. »

Mais pour le quotidien de gauche, la vraie révélation de cette entrevue était l’appel à l’ordre lancé par le chef travailliste à l’intérieur de son cabinet fantôme. C’est que les luttes intestines gangrènent l’aile parlementaire du Parti travailliste depuis l’avènement de Jeremy Corbyn à la tête de la formation politique, en 2015. Celui-ci est issu de l’aile gauche du parti.

Boris Johnson a lui aussi eu des soucis avec la fidélité de ses troupes dans les derniers mois. Fâché de ne pouvoir compter sur les votes de certains députés conservateurs plutôt tièdes face au Brexit, le premier ministre en a expulsé 21 de son aile parlementaire en septembre. Il a toutefois réintégré 10 d’entre eux il y a quelques jours.

Les Britanniques voteront le 12 décembre, une des rares fois que le pays tiendra un scrutin pendant le temps des Fêtes.

L’Union européenne a accepté de repousser au 31 janvier 2020 l’échéance pour voir le Parlement britannique adopter la loi qui formalisera sa sortie de l’organisation.

Les forces en présence

Les conservateurs
Chef : Boris Johnson
Position à la dissolution : 298/650

Au pouvoir depuis 2010, avec trois chefs différents, le Parti conservateur tentera de reconquérir la majorité perdue en 2017, lors des dernières élections générales. Ses armes principales : son chef Boris Johnson, très populaire, et sa clarté sur la question du Brexit. Il devra toutefois surveiller sa droite : le Parti du Brexit du populiste Nigel Farage fait la promotion d’un divorce brutal qui pourrait plaire aux eurosceptiques les plus convaincus.

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Le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson

Les travaillistes
Chef : Jeremy Corbyn
Position à la dissolution : 243/650

En berne dans les sondages, le Parti travailliste a pris un tournant à gauche avec l’élection à sa tête de Jeremy Corbyn, en 2015. Depuis, la formation politique est aux prises avec des luttes intestines entre son establishment et son aile gauche. Des allégations d’antisémitisme reviennent aussi périodiquement hanter les travaillistes, notamment en lien avec les prises de position propalestiniennes de M. Corbyn. Après des mois d’hésitation, le parti propose maintenant un second référendum sur le Brexit.

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Le chef de l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn

Les libéraux-démocrates
Chef : Jo Swinson
Position à la dissolution : 21/650

Les « lib-dems », des centristes surtout populaires chez les électeurs de la classe moyenne supérieure, pâtissent depuis plusieurs années de leur participation au gouvernement de coalition avec les conservateurs de 2010 à 2015. Ils ont toutefois repris du poil de la bête lors des élections européennes du printemps dernier, faisant élire 16 députés grâce à un message clair : « non au Brexit ». Ils veulent un second référendum afin de permettre aux électeurs de se prononcer à nouveau sur la question.

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La chef des libéraux-démocrates, Jo Swinson

Des partis régionaux
Chefs : multiples
Position à la dissolution : collectivement 56/650

Ces élections n’auraient jamais eu lieu si les 10 députés unionistes nord-irlandais (anti-indépendance, essentiellement protestants) avaient appuyé l’entente négociée par Boris Johnson et l’Union européenne. En refusant (ils estimaient qu’elle mettait en danger « l’intégrité territoriale » du Royaume-Uni), ils ont prouvé la capacité des partis régionaux à jeter du sable dans l’engrenage. En plus de l’Irlande du Nord, l’Écosse et le pays de Galles ont aussi leurs formations politiques propres.

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La perspective du Brexit a réveillé quelques fantômes en Irlande du Nord, notamment à Derry, où les divisions sont encore très marquées entre catholiques (nationalistes, pour une Irlande réunie) et protestants (loyalistes, pro-Royaume-Uni).