Alors que le dictateur syrien Bachar al-Assad consolide son emprise sur le pouvoir après des années de guerre civile sanglante, d’ex-sbires de son régime se voient contraints de rendre des comptes en justice.

La justice allemande vient de mettre officiellement en accusation pour crimes contre l’humanité deux anciens agents des services de renseignements syriens, détenus depuis février, en raison de leur rôle dans la torture de nombreux dissidents.

Le premier, identifié comme Anwar Raslan, a dirigé une prison de Damas où plus de 4000 personnes auraient été torturées en 2011 et en 2012. Près d’une soixantaine de personnes seraient mortes en raison des exactions subies.

L’autre accusé, Eyad al-Gharib, aurait joué un rôle dans la torture d’une trentaine de personnes.

Leur procès doit commencer au début de 2020, marquant une étape importante dans les démarches entreprises par plusieurs organisations de défense des droits de la personne pour forcer les tortionnaires syriens à répondre de leurs actes et mettre fin à l’impunité.

C’est clairement un développement majeur.

Patrick Kroker, avocat spécialisé en droit pénal international rattaché au Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR)

Compétence universelle

L’organisation a participé au cours des dernières années à l’élaboration de plusieurs plaintes dénonçant le recours à la torture en soutien à des victimes d’origine syrienne réfugiées dans le pays.

Des dizaines de témoignages incriminants ont été recueillis et relayés aux autorités dans l’espoir que le Procureur fédéral allemand entame des procédures en usant du principe de compétence universelle.

Il permet à la justice allemande de mettre en accusation des ressortissants étrangers pour des abus survenus hors du pays.

PHOTO ULI DECK, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le bureau du Parquet fédéral à Karlsruhe, en Allemagne

Ce type de démarche présuppose cependant que le régime en place dans le pays où les exactions ont eu lieu n’entend pas mettre les responsables en procès.

« Il est évident que rien ne sera fait à ce sujet en Syrie », relate M. Kroker en évoquant le rôle central joué par Bachar al-Assad et son entourage.

Avec leur aval, les services de renseignements syriens ont systématiquement fait appel à la torture depuis le début du soulèvement, en 2011, pour enrayer la contestation.

« Des gens mouraient autour de moi »

Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, plus de 14 000 personnes sont mortes sous la torture dans les geôles syriennes. La violence des méthodes utilisées a notamment été mise en relief par des dizaines de milliers de photos exfiltrées du pays par un ex-membre de la police militaire syrienne utilisant le pseudonyme Cesar.

L’ECCHR a pu retrouver une quinzaine de témoins qui ont contribué à l’enquête ayant mené à l’arrestation et à la mise en accusation des deux ressortissants syriens.

L’un de ces témoins s’est réjoui hier, dans un communiqué de l’organisation, du procès à venir.

La procédure en Allemagne donne espoir, même si elle prend du temps et que rien n’arrive demain ou même après-demain. Le fait qu’elle continue permet à tous les survivants d’espérer que justice sera faite.

Un témoin ayant contribué à l’enquête

L’ECCHR a diffusé au cours des dernières années plusieurs témoignages illustrant l’étendue de la torture dans les prisons syriennes sans identifier les personnes en cause.

Un homme arrêté en 2015 a notamment relaté qu’il avait été détenu pendant plusieurs semaines à Damas dans une cellule avec près d’une centaine d’hommes. « Des gens mouraient autour de moi. Les corps restaient là parfois jusqu’à trois jours avant d’être retirés », a expliqué le Syrien, qui a été battu et torturé avec des électrochocs à plusieurs reprises.

M. Kroker espère que le procès à venir en Allemagne va permettre de détailler, devant public, les exactions syriennes et contribuera à empêcher toute régularisation des rapports avec le régime de Bachar al-Assad.

Il souhaite que d’autres pays emboîtent le pas à l’Allemagne et tentent à leur tour de faire condamner des membres du régime ayant eu recours à la torture en attendant le jour où le dictateur lui-même pourra être traîné en justice.