(Washington, Moscou et Bangkok) Les États-Unis ont signalé leur intention d’accélérer le développement de nouveaux missiles conventionnels quelques heures après avoir acté avec la Russie la mort de l’emblématique Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), semblant justifier les craintes d’une relance de la course aux armements.

Après six mois de dialogue de sourds et d’accusations réciproques de violations, Russie et États-Unis ont laissé expirer l’ultimatum lancé par l’administration de Donald Trump en février, s’accusant mutuellement d’être responsables de la fin de ce texte bilatéral datant de la Guerre froide.

Le président américain a fait savoir que tout nouveau traité devrait aussi inclure la Chine, dont la montée en puissance militaire préoccupe de plus en plus Washington.

Pour les Américains, Moscou a accru ces dernières années ses capacités d’une manière incompatible avec le FNI, qui concernait les missiles d’une portée de 500 à 5500 km et avait permis dans les années 1980 l’élimination des missiles russes SS20 et américains Pershing, au cœur de la crise des euromissiles.

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Mark Esper

«Maintenant que nous nous sommes retirés, le département de la Défense va poursuivre pleinement le développement de ces missiles conventionnels tirés depuis le sol dans une réponse prudente aux actions de la Russie», a déclaré le secrétaire à la Défense Mark Esper

La Russie a répliqué en accusant Washington d’avoir «commis une grave erreur» et créé «une crise pratiquement insurmontable». Elle a de nouveau proposé un «moratoire sur le déploiement d’armes de portée intermédiaire», ce que l’OTAN a rejeté.

Le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, a assuré que les Occidentaux ne voulaient pas « d’une nouvelle course aux armements ». Mais les signaux envoyés par Moscou et Washington suscitent de sérieuses préoccupations, en particulier en Europe.

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Jens Stoltenberg

Pays neutre aux premières loges de la Guerre froide, l’Autriche s’est inquiétée de la «menace» planant désormais sur l’Europe et a appelé Moscou et Washington à s’engager de façon «volontaire» à ne pas déployer de missiles nucléaires de moyenne portée sur le continent.

«La fin de ce traité accroît les risques d’instabilité en Europe et érode le système international de maîtrise des armements», a renchéri Paris.

Nouvelle course aux armements ?

«Les États-Unis ont évoqué leurs inquiétudes auprès de la Russie dès 2013», a rappelé le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, qui se targue du «plein soutien» des pays membres de l’OTAN. Mais Moscou a «systématiquement repoussé durant six ans les efforts américains pour que la Russie respecte à nouveau» le texte, a-t-il ajouté.

En cause, les missiles russes 9M729, qui représentent selon lui une «menace directe» pour les Américains et leurs alliés bien que la Russie assure qu’ils ont une portée maximale de 480 km.

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Un missile 9M729 entreposé près de Moscou.

Plusieurs discussions entre les deux puissances rivales se sont révélées infructueuses depuis février. Elles avaient même des raisons de vouloir sortir de ce texte qui fut négocié par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev en décembre 1987.

Le Pentagone veut avoir les mains plus libres pour moderniser son arsenal afin de contrer la montée en puissance de la Chine, qui cherche à affirmer sa suprématie militaire en Asie.

S’exprimant vendredi dans les jardins de la Maison-Blanche, Donald Trump a estimé que Pékin comme Moscou devraient être partie prenante de tout nouveau texte visant à remplacer le traité INF. «Cela serait une très bonne chose pour tout le monde», a-t-il confié.

Et côté russe, le Kremlin n’est pas mécontent de se débarrasser d’un outil jugé à l’avantage de Washington.

Mike Pompeo a assuré que l’administration Trump souhaitait inaugurer «une nouvelle ère du contrôle des armements», dépassant le cadre bilatéral américano-russe et concernant également la Chine – une proposition qui ne semble pas intéresser Pékin à ce stade.

«La Russie voudrait faire quelque chose au sujet d’un traité nucléaire. Je suis d’accord», a lâché jeudi, sans plus de précisions, le président Trump.

Il ne reste désormais en vigueur qu’un seul accord nucléaire bilatéral entre Moscou et Washington : le traité START, qui maintient les arsenaux nucléaires des deux pays bien en deçà du niveau de la Guerre froide et dont le dernier volet arrive à échéance en 2021.

«Les chances qu’il soit prolongé sont faibles. Dans ces conditions, plus rien ne limitera la nouvelle course aux armements nucléaires entre les États-Unis et la Russie», pronostique l’analyste russe Alexandre Saveliev.

Si l’administration Trump a promis pour l’heure de ne pas déployer de nouveaux missiles nucléaires en Europe, elle n’a fait aucune promesse sur le déploiement d’armes conventionnelles.