Les partis populistes et écologistes sont sortis renforcés des élections européennes hier, après un scrutin de quatre jours marqué par une participation nettement plus forte qu’on l’attendait. Parmi les vainqueurs : le Rassemblement national de Marine Le Pen en France, la Ligue de Matteo Salvini en Italie et le Brexit Party de Nigel Farage au Royaume-Uni.

Le Parlement change de visage

PHOTO MIGUEL MEDINA, AGENCE FRANCE-PRESSE

La Ligue menée par le ministre de l'Intérieur italien Matteo Salvini est l'une des formations victorieuses des élections européennes.

Bruxelles - On annonçait un fort taux d’abstention. Ç’a été tout le contraire. Les élections européennes se sont terminées, hier, avec un taux de participation inattendu de 51 %, le plus important depuis 1994.

Cette hausse semble avoir profité en premier lieu aux partis nationalistes et populistes qui, tel qu’annoncé, gagnent des points avec une récolte inédite de 172 sièges sur les 751 que compte le Parlement européen.

Parmi les formations victorieuses, on compte notamment le Rassemblement national de Marine Le Pen, en France, le Brexit Party de Nigel Farage, au Royaume-Uni, et la Ligue de Matteo Salvini, en Italie.

Centristes et pro-européens pâtissent

Il est encore trop tôt pour savoir si les partis eurosceptiques sauront former une coalition cohérente, qui leur donnerait du poids au Parlement et leur permettrait d’influer sur le programme de l’Union européenne (UE), incluant des sujets clés comme l’immigration.

Mais on sait déjà que leur bonne performance s’effectue au détriment des deux grands groupes centristes et pro-européens (PPE et S&D) qui dominaient jusqu’ici l’agenda politique.

Le groupe PPE (Parti du peuple européen, droite) reste en tête mais passe ainsi de 217 à 179 élus, alors que le groupe S&D (Socio-démocrates) passe de 187 à 150 eurodéputés.

Effritement ou effondrement ? Chose certaine, il y a loin des 376 sièges nécessaires pour former une majorité parlementaire. Forcés de cohabiter, le PPE et le S&D n’auront d’autre choix que de tendre la main aux Verts ou aux libéraux centristes de l’Alliance libérale et démocrate pour l’Europe (ALDE, qui inclut notamment La République en marche d’Emmanuel Macron), pour élargir leur groupe et contenir la menace nationaliste.

Profondes divergences

Selon les observateurs, rien ne dit toutefois que les partis europhobes pourront se fédérer en un seul et même bloc d’opposition sous la bannière du tandem Le Pen-Salvini. Le rapprochement pourrait être difficile en raison des profondes divergences entre certains partis, même si la plupart partagent le même sentiment europhobe et anti-immigration.

À souligner, par ailleurs, la performance du Parti vert qui récolte 70 sièges, tous pays confondus, 17 de plus qu’en 2014. Un vote qui s’inscrit vraisemblablement dans la foulée de la jeune militante écolo suédoise Greta Thunberg et du mouvement pro-climat en Europe. Les Verts ont notamment gagné des sièges en Allemagne, en France et en Finlande.

Polarisation

Plus de 400 millions d’électeurs issus de 28 pays votaient depuis jeudi dans ce qui est considéré comme le deuxième exercice démocratique en importance du monde, après les élections en Inde.

Pour Sylvain Kahn, professeur à Sciences Po, un constat s’impose à la lumière des résultats : la recomposition du Parlement, tout comme la hausse du taux de participation, seraient l’expression directe d’une « polarisation » chez les électeurs.

« Les gens ne veulent plus des partis classiques et de leurs discours un peu flous. Que ce soit les populistes ou les Verts, ils ont voulu voter pour des partis avec un discours complètement clair, sans nuance ni ambiguïté. » — Sylvain Kahn, professeur à Sciences Po

Reste à savoir maintenant qui succédera à Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne (l’exécutif de l’UE) et à Donald Tusk à la présidence du Conseil européen (l’instance qui réunit les dirigeants des États membres).

La nomination du président de la Commission, revendiquée par le groupe politique qui finit en tête des élections (dans ce cas-ci, le PPE), devrait aboutir à l’occasion du nouveau sommet européen, les 20 et 21 juin, et être validée à la mi-juillet.

L’entrée en fonction de la nouvelle Commission est prévue le 1er novembre et celle du nouveau président du Conseil européen, le 1er décembre.

— Avec l’Agence France-Presse

Les Britanniques en quête de clarté

PHOTO HANNAH MCKAY, REUTERS

Le Brexit Party, formation créée par le député européen Nigel Farage, a enregistré hier des gains importants.

Londres - Après des mois au bord de la crise de nerfs, le Royaume-Uni s’est jeté dans les bras de partis qui lui offraient un peu de clarté sur la question du Brexit, selon les résultats des élections européennes dévoilés hier.

L’establishment politique britannique a été durement réprimandé pour son incapacité à trouver une sortie de crise, alors que les électeurs devaient choisir les députés d’une Union européenne qu’ils ont pourtant choisi de quitter il y a trois ans.

C’est le Brexit Party et les libéraux-démocrates (respectivement farouchement pro- et anti-Brexit) qui ont enregistré les gains les plus importants, alors que conservateurs et travaillistes s’effondraient. Ces deux derniers partis ont pourtant gouverné alternativement le pays depuis des décennies.

« Des millions et des millions d’électeurs ont maintenant de l’espoir », s’est réjoui le président du Brexit Party, Richard Tice, à la BBC. Lui-même venait de gagner un siège à Bruxelles, où il représentera l’est du pays.

« Nos électeurs ont clairement dit au gouvernement qu’un vote pour le Brexit voulait dire un vote pour le Brexit. Ils doivent se réveiller et sentir l’odeur du café. » — Richard Tice

Le visage de cette formation politique est Nigel Farage, un politicien populiste qui milite pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne depuis les années 90. Début 2019, le controversé politicien a quitté son Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) après que celui-ci s’est rapproché de l’extrême droite afin de fonder le Brexit Party. Lui-même ne rechignait toutefois pas à s’afficher avec Marine Le Pen ou avec l’ex-conseiller de Donald Trump, Steve Bannon.

Hier, la formation politique revendiquait des sièges au sein de la délégation qui négocie les modalités de la sortie de l’Union européenne avec Bruxelles.

« Arrêtons le Brexit »

Les libéraux-démocrates ont été les autres grands gagnants de la soirée. « Notre message était très clair : arrêtons le Brexit. Nous avons été clairs depuis le début et notre position pro-européenne a été stable », a affirmé Jo Swinson, députée libérale-démocrate qui s’exprimait elle aussi dans le cadre de la soirée électorale de la télévision publique. Leurs affiches reprenant le slogan « Arrêtons le Brexit » étaient visibles sur de nombreuses pelouses à Cambridge, l’un de leurs bastions.

Les « lib-dems », une formation politique centriste et essentiellement urbaine, avaient été réduits à peau de chagrin à Westminster en 2015, après avoir participé au gouvernement de coalition du conservateur David Cameron. Leur victoire d’hier devrait leur redonner des espoirs de croissance.

D’autres partis clairement anti-Brexit ont aussi bien fait. En Écosse, les indépendantistes du Scottish National Party (SNP) sont arrivés en première place avec un discours pro-européen, plus facile à assumer dans une région où le « Remain » l’a emporté haut la main en 2016. Le Parti vert a aussi affiché une progression rapide dans plusieurs régions.

« Nous savions que nous aurions une soirée difficile. Les électeurs ont pris leur revanche sur l’establishment politique. » — Le député conservateur Mark Francois, un pro-Brexit convaincu

« Nous nous retrouvons malheureusement en ce moment dans une situation difficile où le mot “compromis” est devenu suspect. C’est une position très dangereuse pour une démocratie », a réagi le député travailliste Stephen Kinnock.

Date butoir : 31 octobre

Les Britanniques étaient appelés aux urnes jeudi dernier, mais le décompte et l’annonce des résultats devaient attendre la soirée d’hier, après que tout le continent eut fini de voter. Entre-temps, un séisme politique a secoué le pays : après des mois à encaisser revers sur revers, la première ministre Theresa May a finalement abdiqué vendredi, laissant à d’autres la tâche de concrétiser le Brexit.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, alors que les militants conservateurs doivent choisir un nouveau chef et, par la même occasion, un nouveau premier ministre pour le pays. En plus d’affronter une formation politique divisée, cette personne devra tenter de dégager un consensus dans un Parlement lui aussi déchiré si elle souhaite pouvoir offrir au pays la solution qu’elle recherche tant.

La nouvelle date butoir a été fixée au 31 octobre, après quoi le Royaume-Uni ne fera théoriquement plus partie de l’Union européenne, qu’il ait ou non encadré cette sortie.