Ça faisait tout juste trois jours que Volodymyr Zelensky, le comédien ukrainien converti en politicien, avait remporté la présidentielle par une majorité inédite que, déjà, il se faisait lancer un premier avertissement par Moscou.

Mercredi dernier, le président Vladimir Poutine a signé un décret facilitant l’accession à la citoyenneté russe aux russophones vivant dans l’est de l’Ukraine, région déchirée par un conflit armé depuis 2014. Et où des militants prorusses ont établi une « république » sécessionniste alignée sur le Kremlin.

Dans l’un des rares points publics de son programme, par ailleurs largement inconnu, Volodymyr Zelensky avait annoncé son intention de chercher une solution négociée à la guerre du Donbass. En offrant aux habitants de la région une voie accélérée vers le passeport russe, Vladimir Poutine vient de lui dire qu’il ne devait pas prendre ses désirs pour la réalité, estiment les analystes.

« Ce geste est une provocation à l’endroit de Volodymyr Zelensky », tranche Dominique Arel, directeur de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa.

« Le succès de l’engagement de Zelensky dépend de la volonté de Poutine de faire des compromis. » 

— Serhiy Kudelia, politicologue à l’Université Baylor, au Texas

Avec son décret, dit-il, Poutine vient de montrer que la voie vers ce compromis sera semée d’embûches.

Selon cet expert de l’Ukraine, le conflit du Donbass, c’est pourtant la première question à laquelle devra s’attaquer le prochain président de l’Ukraine lorsqu’il prendra la succession de Petro Porochenko, dans quelques semaines.

L’autre question est celle de la corruption que le comédien de 41 ans, connu pour son rôle dans la série Au service du peuple, où il incarne un professeur d’histoire propulsé à la présidence grâce à une vidéo virale où il pourfend les oligarques, a promis d’éradiquer, à la manière de son personnage.

Sans toutefois préciser comment il allait s’y prendre.

Atypique

Le parcours de Volodymyr Zelensky, élu dimanche avec 73 % des voix, est plus qu’atypique. Russophone qui admet devoir parfaire son ukrainien, ce comédien et producteur a pourtant largement financé l’armée ukrainienne engagée contre les rebelles prorusses.

En même temps, il s’oppose aux politiques linguistiques nationalistes actuelles de Kiev, qui réduit progressivement la place du russe dans le système d’enseignement et les médias ukrainiens.

De cette manière, il a pu gagner des appuis tant chez les nationalistes ukrainiens que chez les russophones inquiets de l’érosion de leurs droits, explique Serhiy Kudelia.

Politicien hors système et anti-élite, qui a fait toute sa campagne électorale pratiquement sans s’adresser aux médias, Zelensky pourrait être qualifié de populiste, souligne Dominique Arel. Sauf que le populisme version Zelensky ne carbure pas, comme c’est le cas ailleurs, au rejet de l’autre, ajoute le spécialiste de l’Ukraine.

Volodymyr Zelensky est d’ailleurs doublement « minoritaire », étant non seulement russophone, mais aussi juif.

« Le fait que les origines de Zelensky n’aient pas causé la moindre tension dans une campagne électorale tout à fait démocratique est en soi remarquable. »

— Dominique Arel, directeur de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa

Zelensky a fondé un parti qui porte le nom… de son émission de télé, Serviteur du peuple ! Ce parti n’est pas encore vraiment actif, il n’a aucun membre connu et aucun programme. Le principal reproche que l’on peut lire dans les médias ukrainiens à son sujet, c’est d’ailleurs ce mystère qu’il cultive autour de ses intentions.

PHOTO GENYA SAVILOV, AGENCE FRANCE-PRESSE

Volodymyr Zelensky célébrant sa victoire électorale.

Ce qu’on sait de Zelensky, c’est qu’il dit souhaiter un rapprochement avec l’Union européenne et l’OTAN, ce qui contribue à le rendre suspect aux yeux de Moscou. Par ailleurs, il est favorable à la légalisation du cannabis à des fins médicales, il veut faciliter la tenue de référendums, il soutient l’accès libre à l’avortement, la légalisation de la prostitution et celle des jeux de hasard.

Points d’ombre

Pour le reste, il n’y a que des points d’interrogation. Notamment en ce qui concerne l’équipe dont il compte s’entourer dans l’exercice de ses fonctions présidentielles.

Autre point d’ombre : ce nouveau venu en politique qui prétend vouloir pourchasser les oligarques est associé, via la chaîne de télévision qui diffuse son émission, à Ihor Kolomoïski, l’un de ces richissimes et puissants personnages qui tirent les ficelles du pouvoir en Ukraine.

« Mais il n’y a pas une seule chaîne de télé qui n’appartienne pas à un oligarque en Ukraine », répond-il quand on lui en fait le reproche.

Comment expliquer le succès inattendu de ce néophyte qui a devancé le président sortant par une marge historique de 49 points au second tour de dimanche dernier ?

En partie par son charisme. Mais aussi par le rejet viscéral de la classe politique qui est aux commandes de l’Ukraine depuis deux décennies.

Les mêmes têtes dirigent l’Ukraine depuis 20 ans, souligne Serhiy Kudelia : « C’est aujourd’hui le pays le plus pauvre en Europe, accablé par une guerre non résolue. »

Pour Dominique Arel, le tableau des réalisations de cette classe politique n’est pas complètement noir. À preuve : ces élections démocratiques qui viennent de se dérouler pratiquement sans anicroche. Le problème, selon lui, c’est que le système politique ukrainien reste verrouillé par une oligarchie qui échappe totalement à la justice.

Les Ukrainiens viennent de dire à leurs dirigeants qu’ils en ont marre de ce « système d’impunité », qu’ils aspirent à un véritable État de droit, explique Dominique Arel.

Volodymyr Zelensky aura-t-il le courage et la capacité de faire vraiment le ménage dans ce système ? Saura-t-il vraiment pacifier l’est du pays ?

Ce n’est évidemment pas garanti. D’autant que cela ne dépend pas uniquement de lui. Mais ce n’est pas exclu non plus.