(Saint-Étienne) Ses parents ont fui la Syrie pour gagner le Liban puis la France. C’est dans ce pays qu’il pensait sûr que Mohammad, 15 ans, a été mutilé en marge d’une manifestation des « gilets jaunes » en janvier.
« J’ai fui la guerre en Syrie et voilà, je perds mon œil », résume avec fatalisme l’adolescent timide rencontré par l’AFP chez lui à Saint-Étienne.
Aîné d’une famille de trois enfants arrivée en France en mai 2018, Mohammad affirme s’être trouvé mêlé malgré lui à des manifestants poursuivis par la police, le 12 janvier, un samedi de mobilisation dans le centre de la ville théâtre cet hiver, à plusieurs reprises, de violentes échauffourées.
C’est là qu’une balle en caoutchouc tirée par un lanceur de balle de défense (LBD) lui a fait perdre définitivement l’usage de l’œil droit -l’usage controversé des LBD a été dénoncé par les organisations des droits de l’homme et l’ONU.
« Il est évident qu’il ne fait pas partie des jeunes qui se mêlent parfois aux manifestations de “gilets jaunes” », soutient son avocate, Me Solange Viallard-Valézy : Mohammad « observait l’agitation autour de lui lorsqu’un tir de LBD l’a atteint » dit-elle.
Paupière close sur son œil blessé, barré d’une cicatrice de plusieurs centimètres, l’adolescent qui maîtrise encore mal le français ne comprend toujours pas pourquoi le policier l’a visé.
« Je ne voyais plus rien »
« Il y avait du gaz lacrymogène, les “gilets jaunes” couraient. Moi, je suis resté là où j’étais, à côté de l’arrêt de tram », raconte Mohammad qui faisait ce jour-là des courses avec son père.
« J’ai continué à regarder le policier devant moi et d’un coup j’ai été frappé au visage et je suis tombé par terre. Je ne voyais plus rien ».
Dans l’appartement mis à leur disposition par une association, ses parents n’apprendront qu’après plusieurs heures l’hospitalisation de leur fils. Le parquet de Saint-Étienne a donné son accord à une intervention chirurgicale pour tenter de sauver son œil. En vain.
À la suite de la plainte déposée par la famille, le procureur de la République David Charmatz a confié à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN, la police des polices) une enquête sur cet incident.
L’adolescent a été de nouveau entendu la semaine dernière.
Le ministère de l’Intérieur a reconnu début avril que 209 enquêtes étaient en cours pour suspicion de violences policières lors des défilés de « gilets jaunes » : 23 personnes ont, comme Mohammad, affirmé avoir perdu un œil en cinq mois de mobilisation sociale pour le pouvoir d’achat.
Face au drame qui le frappe, pas de révolte. « C’est Dieu qui l’a voulu », lâche Mohammad, à l’unisson de son père.
Le garçon n’avait pas dix ans quand il a quitté Alep, au milieu des bombardements et des morts. Il raconte sans émotion apparente les djihadistes « qui brandissaient des têtes décapitées » et garde plutôt de bons souvenirs des années dans les camps de réfugiés de la Croix-Rouge à Tripoli, au Liban, de 2012 à 2018.
Des pizzas
En France, la famille a reçu un titre de séjour de dix ans. « Dieu merci, nous sommes bien », assure son père qui s’exprime, comme son fils, en arabe. « Des gens nous aident beaucoup », renchérit Mohammad.
L’école ne l’intéresse pas vraiment, il préfère la natation et la musculation. Mais ce qu’il désire en priorité : « apprendre le français et à fabriquer des pizzas ». Avec l’espoir de rompre son isolement.
Pour son père, qui a très tôt quitté l’école pour devenir forgeron, « Mohammad ne réalise pas encore la gravité de sa blessure ».
« Avec le temps, il va se rendre compte. Se dire que nous sommes venus ici pour fuir une guerre, être en sécurité. Et que c’est ici que son œil a été touché ».