La première ministre britannique Theresa May a demandé vendredi un report du Brexit jusqu'au 30 juin pour tenter de surmonter la crise politique au Royaume-Uni, le président du Conseil européen Donald Tusk suggérant de son côté un report « flexible » d'un an maximum.

La requête de la dirigeante britannique a été reçue avec circonspection par ses homologues européens. Theresa May avait déjà demandé un report de la sortie de son pays de l'Union européenne, initialement prévue le 29 mars, au 30 juin lors du sommet européen du mois de mars, ce qui lui avait été refusé.  

La date posait en effet problème aux dirigeants européens en raison de la tenue des élections européennes du 23 au 26 mai. Ils avaient finalement accepté un report au 12 avril.

Dans une lettre envoyée vendredi à M. Tusk, Mme May remet sur le tapis la date du 30 juin, avec l'engagement de lancer les préparatifs pour participer aux élections européennes... auxquelles elle espère cependant pouvoir se dérober.

Elle souligne en effet qu'elle cherche toujours à obtenir un accord des députés britanniques « qui permette au Royaume-Uni de quitter l'UE avant le 23 mai et ainsi annuler (la participation du pays aux) élections européennes ». Le Royaume-Uni « continuera les préparatifs pour la tenue de ces élections si cela n'est pas possible », ajoute-t-elle.

En France, la présidence a jugé « un peu prématurée » la demande de report et expliqué attendre un « plan crédible » de Londres d'ici au sommet extraordinaire de l'UE consacré au Brexit du 10 avril.

Le premier ministre néerlandais Mark Rutte a estimé que la démarche britannique « ne répond pas » aux interrogations de l'UE. « Il y a encore beaucoup de questions qui doivent être clarifiées à Londres », a déclaré le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas.

La question de ce nouveau délai est au programme des discussions prévues lundi à Dublin entre le gouvernement irlandais et le négociateur en chef de l'UE, Michel Barnier.

« Pénibles »

De son côté, Donald Tusk veut proposer que l'UE accorde à Londres un report « flexible » allant jusqu'à 12 mois, selon un haut responsable européen.

Cela permettrait de fixer la nouvelle date butoir du Brexit au 12 avril 2020, tout en laissant une porte de sortie au Royaume-Uni avant cette échéance si les députés britanniques approuvent dans l'intervalle le Traité de retrait qu'ils ont déjà rejeté trois fois.

Mais cette proposition risque de ne pas soulever l'enthousiasme de tous les États membres, inquiets de garder le Royaume-Uni avec un pied à l'intérieur et l'autre à l'extérieur de l'UE, dont il pourrait perturber le fonctionnement.

« Si une longue extension nous laisse coincés dans l'UE, nous devrions nous montrer aussi pénibles que possible », a ainsi menacé le député conservateur eurosceptique Jacob Rees-Mogg. « Nous pourrions opposer notre veto à toute augmentation du budget, à la supposée armée européenne et bloquer les projets intégrationnistes de M. Macron ».

Pour éviter les blocages, « il est très important de clarifier dès le début la relation que nous aurons avec le Royaume-Uni », a déclaré à Bruxelles une source diplomatique à l'AFP, soulignant que « des décisions importantes doivent être prises après les élections européennes. Nous devons élire les institutions, élaborer le budget, l'agenda... »

Le Labour déçu

Pour Anand Menon, professeur de politique européenne au King's College de Londres, avec sa proposition, « Theresa May cherche à se couvrir politiquement », en évitant de s'attirer les foudres des pro-Brexit avec une demande de report plus longue.

« Elle se dit "Je demande un court report parce que sinon les eurosceptiques de mon parti vont faire une crise". Mais à Downing Street, il savent très bien que l'Union européenne dira non », a-t-il déclaré à l'AFP, estimant que Theresa May devra, in fine, accepter une extension plus longue.

Les discussions entreprises depuis mercredi avec l'opposition travailliste pour trouver un compromis susceptible d'être soutenu par une majorité de députés et éviter le scénario redouté d'une sortie sans accord semblaient elles aussi dans l'impasse vendredi soir.  

« Nous avons fait des propositions sérieuses » a déclaré un porte-parole de l'exécutif, « nous sommes prêts à poursuivre les discussions au cours du week-end ». Mais Keir Starmer, le référent du Brexit pour le Labour, a jugé décevant le contenu des échanges.  

« Jusqu'à présent, le gouvernement ne propose aucun changement à l'accord. Nous avons besoin d'un changement si nous voulons trouver un compromis », a-t-il dit sur la chaîne ITV.

Mme May a expliqué dans sa lettre que si ces pourparlers n'aboutissent pas « bientôt », le gouvernement cherchera à établir un « consensus » en soumettant « un petit nombre » d'options sur la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union européenne au vote des députés.

En l'absence d'un plan « qui bénéficie d'un soutien politique clair et crédible [...] nous serions obligés de constater que le Royaume-Uni a choisi de quitter l'Union européenne sans accord », a mis en garde Amélie de Montchalin, la secrétaire d'État française aux Affaires européennes.

PHOTO OLIVIER MATTHYS, ARCHIVES AP

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