Les députés britanniques ont refusé mardi pour la deuxième fois l'accord de Brexit malgré les ultimes modifications obtenues la veille par Theresa May, plongeant le Royaume-Uni dans l'inconnu à 17 jours de la date prévue de la sortie de l'Union européenne.

Le Traité de retrait de l'UE, conçu pour permettre une sortie en douceur du Royaume-Uni de l'Union européenne, a été largement recalé par 391 voix contre 242. La Chambre des communes l'avait déjà rejeté massivement une première fois le 15 janvier.

Parmi les premiers à réagir, le porte-parole du président du Conseil européen Donald Tusk a estimé que ce rejet avait accru de façon «significative» le risque d'un Brexit sans accord, redouté par les milieux économiques.

«L'impasse peut uniquement être surmontée par le Royaume-Uni», a déclaré le négociateur de l'UE pour le Brexit Michel Barnier, ajoutant que les préparatifs de l'UE en cas de divorce sans accord «étaient maintenant plus importants que jamais».

«La France regrette le vote de ce soir», a de son côté déclaré la présidence française, ajoutant que Paris ne pourrait «en aucun cas accepter une extension (de la date du Brexit) sans une stratégie alternative, crédible, de la part du Royaume-Uni».

Le chef de l'opposition travailliste Jeremy Corbyn a lui estimé que l'accord de Mme May était «clairement mort».

Ce vote est un cinglant désaveu pour la première ministre conservatrice qui a âprement négocié ce texte de près de 600 pages pendant de longs mois, et pose la question de sa survie à la tête de l'exécutif.

«Je regrette profondément la décision que cette chambre a prise», a-t-elle déclaré immédiatement après le vote, l'air fatigué et la voix enrouée, comme une métaphore des difficultés qu'elle rencontre dans ce processus d'une incroyable complexité, né du vote des Britanniques en faveur du Brexit lors du référendum du 23 juin 2016.

Avant de demander à la Chambre des communes ce qu'elle veut désormais : «Souhaite-t-elle révoquer l'article 50 (qui a lancé le processus de divorce, NDLR) ? Veut-elle organiser un deuxième référendum ? Ou partir avec un accord, mais pas cet accord ? ».

No deal ? Report ?

Et maintenant ? Les députés voteront mercredi sur la possibilité de sortir de l'UE sans aucun accord.

Si cette option est exclue, le Parlement votera à nouveau jeudi, cette fois sur une proposition de report «limité» du Brexit. L'Union européenne serait «prête à considérer» un report de la date du Brexit, si le Royaume-Uni devait en faire une demande «motivée», a déclaré une porte-parole de la Commission européenne.

Quant à lancer des discussions avec Bruxelles pour obtenir de nouveaux changements, la partie semble loin d'être gagnée. «Il n'y aura pas de troisième chance», avait averti lundi le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Pour tenter d'éviter une nouvelle défaite, Theresa May s'était rendue lundi soir à Strasbourg pour des négociations de dernière minute avec M. Juncker, au terme desquelles elle avait annoncé avoir obtenu des «changements légalement contraignants».

Déterminée à défendre ce texte jusqu'au bout, la dirigeante avait mis en garde les députés contre les conséquences d'un rejet.

Son appel n'a pas convaincu. La publication de l'avis du conseiller juridique du gouvernement, l'attorney général Geoffrey Cox, n'y a pas aidé. Selon lui, «le risque juridique» présenté par l'accord «reste inchangé» malgré les concessions de Bruxelles revendiquées par Mme May.

Celles-ci concernent le «backstop» («filet de sécurité»), la disposition la plus controversée de l'accord de divorce. Il s'agit d'un dispositif de dernier recours qui vise à éviter le retour d'une frontière physique entre les deux Irlande afin de préserver les accords de paix de 1998 et l'intégrité du marché unique européen.

Les «Brexiters» craignent en effet de rester indéfiniment «piégés» dans une union avec l'Union européenne car le «filet de sécurité» implique un alignement étroit de tout le Royaume-Uni sur les règles commerciales européennes en attendant la conclusion d'un accord sur les futures relations.

Un «pas de plus» vers l'UE

Le rejet de l'accord a ravi des europhiles rassemblés devant le Parlement de Westminster et militant pour l'organisation d'un nouveau référendum.

«C'est merveilleux, c'est un pas de plus vers un maintien dans l'UE», a déclaré à l'AFP Nina Hawl, 82 ans.

Satisfaction aussi du côté des militants pro-Brexit, prêts à quitter le giron européen le 29 mars sans accord. «Je suis contente», mais «c'est encore trop tôt pour célébrer», a dit Gulia Astell, 58 ans, souhaitant que le Parlement vote pour l'option du «no deal» mercredi.

La livre sterling, en nette baisse avant le rejet de l'accord, a repris un peu de force juste après le vote, avant de plonger de nouveau face à l'euro et au dollar.

«Si on a un prolongement des négociations pendant encore trois ou six mois, cela va un peu plus peser sur l'économie britannique», a estimé Brendan McKennan, analyste de Wells Fargo.  

Les principales étapes du Brexit :

Oui au Brexit

Le 23 juin 2016, quelque 17,4 millions de Britanniques (51,9 % des suffrages) votent en faveur d'une sortie de l'Union européenne du Royaume-Uni.

Cameron out

Le 24 juin, le premier ministre conservateur David Cameron, partisan du maintien dans l'UE mais à l'initiative du référendum,  démissionne.

Les eurosceptiques aux manettes

Le 13 juillet, Theresa May, eurosceptique mais qui avait voté contre le Brexit, devient première ministre.  

Vers un Brexit dur

Le 17 janvier 2017, dans le discours dit de Lancaster, Theresa May expose ses plans pour un Brexit dur.  

Pour elle, «le Royaume-Uni ne peut pas continuer à faire partie du marché unique», incompatible avec la priorité de Londres : la maîtrise de l'immigration européenne.

Article 50

Le 29 mars 2017, Theresa May active l'article 50 du Traité de Lisbonne : le processus de sortie est officiellement enclenché. Il doit aboutir le 29 mars 2019.

Législatives anticipées

Désireuse d'asseoir son autorité avant d'entamer les négociations avec l'UE, Theresa May convoque des élections législatives anticipées. Elle y perd la majorité absolue le 8 juin 2017 et doit s'allier avec le petit parti nord-irlandais ultra-conservateur DUP pour pouvoir gouverner.  

Dossiers prioritaires

Le 8 décembre 2017, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker et Theresa May annoncent un accord initial sur les trois dossiers prioritaires du divorce : règlement financier, droits des citoyens expatriés et sort de la frontière entre l'Irlande du Nord britannique et la République d'Irlande, membre de l'UE.

Plan de Chequers

Le 6 juillet 2018, de la résidence de campagne de Chequers (nord-ouest de Londres), Theresa May expose son plan pour une relation commerciale post-Brexit : maintien des échanges industriels et agricoles via une «zone de libre-échange» avec les 27 et «nouveau modèle douanier».

Cet adoucissement de la position britannique provoque la démission de deux ministres de poids : David Davis (Brexit) et Boris Johnson (Affaires étrangères).

Accord

Le 13 novembre, Downing Street annonce que les négociateurs britanniques et européens ont conclu un projet d'accord. Le lendemain, un conseil des ministres approuve l'accord mais quatre membres du gouvernement démissionnent.   

L'accord de retrait et la déclaration politique qui dessine les contours des relations post-Brexit sont approuvés, le 25 novembre, au cours d'un sommet européen.

L'accord règle la question de la facture que devra payer Londres à l'UE et contient la disposition très controversée du «filet de sécurité», ou «backstop», qui prévoit en dernier recours le maintien de tout le Royaume-uni dans une union douanière pour éviter une frontière physique en Irlande.

Vote reporté

Theresa May appelle les députés à soutenir l'accord de divorce au cours d'un vote fixé au 11 décembre. Mais la veille du vote, qu'elle est quasi assurée de perdre à cause de l'opposition au filet de sécurité, elle annonce son report.  

Le 12 décembre, Theresa May remporte le vote de défiance organisé par des députés de son Parti conservateur opposés à l'accord de divorce.

Premier revers

Le 15 janvier, les députés rejettent massivement l'accord de Brexit par 432 voix contre 202.  Le lendemain, le gouvernement survit de justesse à la motion de censure déposée par l'opposition travailliste. Il se lance dans de nouvelles discussions avec Bruxelles, qui refuse de rouvrir les négociations sur l'accord.

Deuxième revers

Le 12 mars, les députés rejettent à nouveau massivement l'accord de Brexit, par 391 voix contre et 242 pour, pas convaincus par les «changements» de dernière minute obtenus de l'UE par Theresa May.

Ce vote doit être suivi le 13 mars par un autre sur une sortie sans accord. Si les députés rejettent également cette option, ils devront se prononcer le 14 mars sur un report du Brexit.