Les injures antisémites proférées contre un intellectuel français en marge du mouvement des «gilets jaunes» ont mis en lumière la recrudescence des manifestations d'antisémitisme dans ce pays, où des rassemblements doivent avoir lieu mardi à l'appel de partis politiques.

«Barre-toi, sale sioniste de merde», «grosse merde sioniste», «la France elle est à nous», ont crié samedi des manifestants du mouvement des gilets jaunes qui défilaient à Paris en apercevant le philosophe et académicien Alain Finkielkraut près de son domicile, selon des images diffusées sur l'internet.

Sur une seconde vidéo tournée par un journaliste indépendant, on peut voir les forces de l'ordre s'interposer pour protéger le philosophe, âgé de 69 ans.

«Les injures antisémites dont il a fait l'objet sont la négation absolue de ce que nous sommes et de ce qui fait de nous une grande nation. Nous ne le tolèrerons pas», a déclaré dès samedi le président français Emmanuel Macron.

Cette agression verbale a été condamnée par l'ensemble de la classe politique en France.  

Dimanche, le parquet de Paris a annoncé l'ouverture d'une enquête pour «injure publique en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion».

«Un suspect, reconnu comme le principal auteur des injures, a été identifié par nos services», a indiqué le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner dans un tweet.

Lundi, le ministre avait dénoncé un «poison» en annonçant une hausse de 74% des actes antisémites en 2018. Ce total de 541 actes reste toutefois inférieur au pic record de 808 actes recensés en 2015.

Plusieurs dégradations ont en outre été constatées le week-end dernier en France : image de Simone Veil - figure de la vie politique française et européenne, déportée à 15 ans dans le camp d'Auschwitz - barrée d'une croix gammée, graffiti «Juden» (Juifs en allemand) sur la vitrine d'un restaurant parisien, arbre en mémoire d'Ilan Halimi vandalisé...

Face à cette situation, 14 partis politiques ont invité les Français à se réunir mardi partout dans le pays pour dire «Non à l'antisémitisme».

«Inacceptable»

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy en France a activement collaboré avec l'occupant allemand. Il s'est notamment rendu responsable de rafles massives au sein de la population juive. Cette politique fit de 10 000 à 15 000 morts et 80 000 civils furent déportés. Depuis la Shoah, ce pays a régulièrement connu les polémiques liées aux déclarations de personnalités négationnistes.  

Se présentant comme «un défenseur exalté de l'identité nationale», Alain Finkielkraut, l'un des polémistes les plus médiatiques de France, est issu de la gauche mais taxé de «néo-réac» par ses détracteurs. Le philosophe a d'abord accueilli avec bienveillance le mouvement des «gilets jaunes», avant d'en critiquer l'évolution.  

Ce mouvement inédit a essaimé dans toute la France et poussé le gouvernement à des mesures sociales et au lancement d'un grand débat national. Les «gilets jaunes» contestent la politique fiscale et sociale du gouvernement, réclament plus de pouvoir d'achat et appellent, pour certains, à la démission du président Macron.

AFP

Jeune Juif de 23 ans, Ilan Halimi est mort après avoir été séquestré et torturé pendant plusieurs semaines en 2006 en banlieue parisienne.

«C'est un mouvement qui ne sait plus s'arrêter. Mais il y a eu un sursaut de dignité chez des gens qu'on avait oubliés et même méprisés [...] et qui réclamaient de vivre dignement de leur travail», a estimé dimanche M. Finkielkraut.

Revenant sur l'agression, l'intellectuel a précisé qu'il ne voulait pas porter plainte : «Je ne suis ni une victime, ni un héros», a-t-il dit.  

L'agression du philosophe et d'autres incidents pourraient entacher l'image des «gilets jaunes». En marge d'une de leurs manifestations, plusieurs figures de l'antisémitisme français, dont Alain Soral, s'étaient réunies le 19 janvier pour tenter «d'aiguillonner les gilets jaunes».

Jacline Mouraud, figure historique du mouvement des «gilets jaunes» en rupture de ban, a qualifié l'agression contre M. Finkielkraut «d'inacceptable». Pour elle, le mouvement est «dénaturé de ses fondamentaux initiaux et perverti par les extrêmes».

De son côté, le porte-parole du gouvernement Benjamin Grivaux a jugé qu'il ne fallait «pas faire d'amalgame» entre ceux qui manifestent sincèrement et des insultes antisémites.

AFP

Alain Finkielkraut