Bruxelles a proposé d'ajouter sept pays, en particulier l'Arabie saoudite, à sa «liste noire» pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, une initiative que Riyad a affirmé aussitôt «regretter».

Cette initiative de la Commission européenne adoptée mercredi intervient dans un contexte de tensions avec Riyad à la suite de l'affaire Khashoggi.

La proposition devra encore recevoir le feu vert du Parlement européen et des pays de l'Union, dont certains comme la France et le Royaume-Uni ont exprimé des réserves sur cette nouvelle liste de 23 pays à «haut risque».

«L'engagement de l'Arabie saoudite dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme est une priorité stratégique pour le Royaume. Nous allons continuer à développer et améliorer notre cadre réglementaire pour parvenir à cet objectif», a déclaré le ministre des Finances saoudien Mohammed Al-Jadaan, cité jeudi par l'agence officielle saoudienne SPA.  

Les nouveaux pays ciblés, avec parmi eux l'Arabie saoudite et le Panama, s'ajoutent aux 16 qui figuraient déjà sur ce registre-comme l'Iran, l'Irak, le Pakistan ou encore l'Éthiopie et la Corée du Nord-dont l'objectif est de «protéger le système financier de l'UE».

«Nous avons mis en place les normes les plus strictes au monde en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux», a fait valoir la commissaire européenne en charge des questions de justice, Vera Jourova.  

«Mais nous devons veiller à ce que l'argent sale provenant d'autres pays ne se retrouve pas dans notre système financier», a-t-elle ajouté lors d'une conférence de presse au Parlement européen, réuni en session plénière à Strasbourg.

Le fait de se retrouver sur cette liste ne déclenche pas de sanctions, mais il oblige les banques européennes à appliquer des contrôles renforcés sur les opérations financières avec des clients ou des établissements financiers dans ces pays.

Sur une cinquantaine de pays passés à la loupe, la Commission a conclu que 23 présentaient des «carences stratégiques» dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.  

Près de la moitié ne figurent pas sur la liste établie par le Groupe d'action financière (GAFI), chargé de coordonner les efforts internationaux pour assainir le système financier international.

«Sujet sensible»

L'initiative de l'exécutif européen ne fait pas l'unanimité au sein de l'UE.

Les réticences de capitales comme Paris ou Londres sont interprétées par certains comme une volonté de ne pas envenimer les relations avec certains pays. Notamment celles avec l'Arabie saoudite, particulièrement tendues depuis l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.

Commis début octobre dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando venu de Riyad, ce crime a profondément terni l'image des dirigeants saoudiens, et provoqué de fortes tensions avec les capitales occidentales.

Il ne s'agit pas «d'une opposition à l'ajout de tel ou tel pays», a cependant affirmé une source diplomatique, estimant que les réserves de certains concernaient plutôt «la méthodologie» d'évaluation de la Commission. Celle-ci aboutit à des résultats différents de ceux du GAFI, dont l'expertise fait pourtant autorité, a ajouté cette source.

Les pays qui souhaiteraient s'opposer à la nouvelle «liste noire» disposent d'une période d'un mois (prolongeable d'un mois) pour réunir une majorité qualifiée d'États membres hostiles.

«Sincèrement, je ne pense pas qu'il y aura une majorité qualifiée contre au Conseil», a confié mercredi la commissaire Jourova, qui a dit «comprendre les réactions de certains États membres».  

«C'est un sujet éminemment sensible du point de vue politique» et «il y a des relations des États membres avec ces pays tiers», mais «j'espère que les pays européens comprendront la nécessité de cette démarche», a-t-elle ajouté.

L'eurodéputée Eva Joly (Verts), ancienne juge d'instruction, a salué de son côté la nouvelle liste proposée par Bruxelles, qualifiée de «progrès pour combattre l'argent sale».

«La Commission doit toutefois publier les évaluations des pays afin de renforcer la transparence du processus et éviter les accusations de marchandage politique», a ajouté Mme Joly. Elle a par ailleurs demandé que certains pays européens comme Chypre ou le Royaume-Uni soient eux aussi mis au ban.