Le nouveau président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, a rencontré lundi à Paris son homologue russe, Vladimir Poutine, en présence de la chancelière allemande, Angela Merkel, et du président français, Emmanuel Macron. Le but de cette rencontre de haut niveau, la première à réunir les quatre leaders depuis quatre ans ? Trouver une issue au conflit armé qui a déjà fait 13 000 morts dans le Donbass, région industrielle de l’est de l’Ukraine où des sécessionnistes soutenus par la Russie font face à l’armée ukrainienne. Mais jusqu’où Moscou et Kiev sont-ils prêts à aller pour acheter la paix ?

La rencontre de Paris marque-t-elle un déblocage dans les négociations de paix ?

Il s’agit de la remise en marche des accords de Minsk, dont la dernière version a été signée en février 2015. Il y a quatre ans qu’une telle rencontre entre les leaders russe et ukrainien en présence de leurs homologues français et allemand n’a pas eu lieu. 

Oui, il y a un espoir de déblocage, estime Dominique Arel, titulaire de la Chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa. Ne serait-ce que parce que cette rencontre a pu avoir lieu. Mais aussi parce que la donne en Ukraine a changé en mai 2019, avec l’élection d’un président qui a fait campagne sur la promesse de restaurer la paix dans un délai d’un an. Un président qui vient d’ailleurs de l’est de l’Ukraine et qui est donc plus sensible aux réalités de cette région, comme le souligne Dominique Arel. Et la rencontre survient à un moment où une majorité d’Ukrainiens veulent en finir avec cette guerre qui s’éternise.

Y a-t-il aussi un déblocage possible du côté de la Russie ?

« La Russie continue à prétendre qu’elle n’est pas présente dans le Donbass, et quand on parle de désengagement militaire, ça pose un immense problème », dit Dominique Arel. Effectivement, comment se désengager quand on soutient qu’on n’est pas là ? 

L’autre problème, c’est que la Russie se pose en médiatrice, alors qu’elle est impliquée dans le conflit — qu’elle se trouve donc dans le double rôle de juge et partie.

En même temps, les accords de Minsk font miroiter aux Russes une éventuelle levée des sanctions économiques européennes, qui leur coûtent au moins 1 % de leur produit intérieur brut. D’où un puissant incitatif à mettre fin au conflit.

Quels sont les principaux enjeux des négociations ?

L’Ukraine veut reprendre le contrôle de sa frontière avec la Russie, ce qui impliquerait le départ des rebelles séparatistes prorusses et de leurs conseillers de Moscou. Les militants prorusses — et donc la Russie — veulent, en échange, que la région du Donbass soit dotée d’un statut spécial, qu’elle jouisse d’une grande autonomie. C’est ce que prévoient déjà les accords de Minsk, mais beaucoup d’Ukrainiens voient dans l’autonomie du Donbass une capitulation devant Moscou. 

« Politiquement, c’est très, très difficile de faire passer ce compromis », souligne Dominique Arel. Le 8 décembre, à la veille de la rencontre de Paris, quelques milliers de militants ont manifesté à Kiev pour appeler Zelensky à ne pas plier devant Moscou. Leur slogan : « Lignes rouges pour Zelensky. » 

Autrement dit, même s’il a été élu avec 73 % des voix, le président ukrainien fait face à une opinion publique extrêmement sensible sur la question du statut du Donbass, ce qui limite sa marge de manœuvre.

Quels objectifs poursuivent Kiev et Moscou ?

Le président Zelensky cherche à tenir des élections dans le Donbass. Mais il veut que l’armée ukrainienne reprenne d’abord le contrôle du territoire, et que le vote ait lieu ensuite. 

Selon son calendrier, les élections régionales auraient lieu à l’automne 2020. Poutine, lui, veut inverser la séquence des évènements : d’abord des élections, ensuite le désengagement des rebelles et le retour de l’armée ukrainienne à la frontière. La crainte de l’Ukraine, c’est que dans ce scénario, ces élections légitiment la position des rebelles prorusses qui administrent de facto le Donbass.

En attendant le dénouement des négociations, quelle est la situation sur le terrain ?

L’économie du Donbass est en lambeaux après cinq ans de guerre. Et encore aujourd’hui, il y a toujours des gens qui y meurent. « À côté du blocage politique, il y a un blocage militaire », signale Dominique Arel, selon qui nous ne sommes pas en présence d’une guerre froide, mais d’un conflit encore bien chaud, qui fait des victimes, surtout chez les militaires. Et avec un front qui ne bouge pratiquement plus. On estime que 80 000 hommes continuent à se faire face le long d’une ligne de front qui s’étire sur 500 kilomètres.