Le feuilleton du Brexit s’est poursuivi cette semaine avec une nouvelle proposition de Londres visant à régler l’épineuse question de la frontière irlandaise. Sans surprise, l’Union européenne a accueilli sèchement le plan de Boris Johnson. Pourquoi ? Et que prévoir d’ici la date du divorce, le 31 octobre ?

Quelle est la nouvelle proposition de Boris Johnson ?

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Le premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson

Baptisé « deux frontières pour quatre ans », le plan du premier ministre du Royaume-Uni préconise que l’Irlande du Nord reste intégrée au marché unique européen jusqu’en 2025 au moins, mais qu’elle quitte l’Union douanière en même temps que le reste du Royaume-Uni.

La province britannique resterait ainsi soumise aux normes de l’UE en matière de circulation de biens – notamment agroalimentaires –, tandis que le reste du Royaume-Uni, libéré du « carcan » du marché unique, serait libre de mener sa propre politique commerciale.

Cette proposition impliquerait donc deux frontières : des contrôles de conformité aux standards européens entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord, ainsi qu’une douane entre l’Irlande du Nord et la République irlandaise.

Ces arrangements, applicables à partir de janvier 2021, devraient toutefois être approuvés, puis renouvelés tous les quatre ans, par un système de veto à l’Assemblée nord-irlandaise (Parlement régional) de Belfast.

En quoi ce plan est-il différent de celui négocié par Theresa May ?

L’accord conclu par Theresa May – rejeté par trois fois par le Parlement britannique – prévoyait que le Royaume-Uni au complet demeure dans l’Union douanière européenne, et que seule l’Irlande du Nord reste alignée sur les règles du marché unique, et ce, dans l’attente d’une solution viable à plus long terme. 

Cette option, qualifiée de « backstop », ou « filet de sécurité », réglait le problème de frontière entre les deux Irlandes, Mais elle était rejetée par les « Brexiters » purs et durs, pour qui cela équivalait à faire du Royaume-Uni un état « vassal » de l’UE.

Pourquoi Boris Johnson y croit-il ?

Y croit-il, au fait ? Ou n’est-ce que du bluff ?

A priori, le premier ministre du Royaume-Uni aurait le soutien du DUP, ce qui est déjà un bon début. Ce petit parti unioniste et protestant nord-irlandais, sur lequel reposait la majorité du Parti conservateur, verrouillait jusqu’ici tous les scénarios où l’Irlande du Nord aurait eu un « statut à part ». Mais la possibilité de poser un veto à l’entente dès 2025 l’a vraisemblablement conduit à se rallier à la proposition du premier ministre conservateur.

Boris Johnson espère que ce soutien aura un effet d’entraînement, ce qui lui permettrait de faire passer ce nouvel accord à la Chambre des communes.

Mais encore faut-il parvenir à un nouvel accord avec Bruxelles… ce qui est loin d’être fait !

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Sur cette pancarte installée à la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, on peut lire : « L’unité de l’Irlande, la solution au Brexit ». Le plan proposé par Boris Johnson impliquerait le retour d’une douane. Or, c’est le scénario que tous veulent éviter, par crainte de réveiller les fantômes des « Troubles » qui ont affligé l’Irlande du Nord pendant 30 ans.

Pourquoi l’UE n’y croit pas

Sans surprise, l’Union européenne a rejeté en l’état les propositions de Boris Johnson.

Cela, pour au moins trois raisons.

Primo, le droit de veto donné à l’Assemblée nord-irlandaise est jugé « inacceptable » (veto d’autant plus hypothétique qu’elle ne siège plus depuis 2017, en raison d’un cul-de-sac politique).

Deuzio, qui contrôlera les produits en provenance du Royaume-Uni qui entreront dans l’UE par l’Irlande du Nord ? « Les agents britanniques ? Sur le papier, pourquoi pas. Mais ça ne fait pas très sérieux », lance Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique et irlandaise à l’Université de Caen.

Tertio, le plan de Boris Johnson implique le retour de la douane, même minime. Or, c’est le scénario que tous veulent éviter, par crainte de réveiller les fantômes des « Troubles » qui ont affligé l’Irlande du Nord pendant 30 ans.

Boris Johnson promet qu’il n’y aurait pas de contrôles « ni à la frontière ni même près de la frontière », car son plan prévoit de nouveaux outils technologiques et une bureaucratie simplifiée.

Spécialiste de l’Irlande à l’Université de Franche-Comté et membre de l’Observatoire du Brexit, Marie-Claire Considère admet que cette « garantie » n’a rien pour rassurer.

« C’est comme le “Ceci n’est pas une pipe” de Magritte. Il y aura une frontière, mais ce ne sera pas une frontière. Il n’y aura pas de contrôles, mais il y en aura quand même. Ce sont des contradictions flagrantes… L’Union européenne ne peut pas être d’accord, c’est évident. »

Et maintenant, quoi ?

La semaine qui s’amorce s’annonce décisive, alors que se profile le sommet européen des 17 et 18 octobre à Bruxelles.

Les Européens ont donné huit jours aux Britanniques pour modifier leurs propositions. Mais l’horloge tourne et les nouvelles négociations devront aller très vite, l’échéance du Brexit étant prévue le 31 octobre.

Jusqu’à quel point Boris Johnson est-il prêt à négocier ? « That is the question… » La loi Benn, votée par le Parlement britannique, l’obligerait techniquement à demander un report du Brexit dans l’éventualité où les deux parties n’arrivent pas à s’entendre. Mais Johnson a toujours affirmé qu’il préférerait « mourir dans un fossé » plutôt que de retarder la date du Brexit.

S’il devait se plier à la loi et repousser la date du divorce, il n’est pas exclu que Johnson démissionne et que des élections soient déclenchées. Élections qu’il estime pouvoir remporter en se présentant comme celui « qui a tout essayé ». Il aurait ainsi les coudées franches pour mener à bien le Brexit selon ses conditions, et foncer pour le no deal que redoutent les milieux d’affaires.

« Le problème, conclut Christophe Gillissen, c’est que les Européens et les Britanniques discutent dans deux registres différents. Les Européens discutent en suivant une sorte de charte, alors que Boris Johnson aborde ça un peu comme une partie de poker. »

À suivre.