(Rouen) Odeur entêtante, nausées, agriculteurs en plein désarroi : l’inquiétude restait vive vendredi au lendemain de l’incendie dans une usine chimique classée comme particulièrement dangereuse à Rouen, en Normandie (nord-ouest de la France), où les autorités ont reconnu la pollution.

Déclenché dans la nuit de mercredi à jeudi, le feu était éteint vendredi, mais 120 pompiers restaient sur place pour surveiller les points chauds.

Une odeur persistante dans l’air, provoquant pour certains des nausées, obligeait des habitants de Rouen à porter des masques, ont constaté des journalistes de l’AFP. Un bâtiment de la chaîne France 3 a même dû être évacué, certains salariés ayant été victimes de vomissements.

« La ville est clairement polluée » par les suies, a déclaré la ministre de la Santé Agnès Buzyn, qui s’est rendue sur place.

Évoquant les galettes d’hydrocarbures qui ont fait leur apparition vendredi sur la Seine, « Ce sont des suies, comme une pollution, comme des galettes par exemple de goudrons sur les plages », a-t-elle expliqué, en appelant les riverains à mettre des gants lors des opérations de nettoyage.

« Je ne peux pas dire qu’il n’y pas de danger. il y a forcément des traces d’hydrocarbures », a dit Mme Buzyn.

Outre Mme Buzyn, deux ministres ont fait le déplacement vendredi pour tenter de rassurer la population : Elisabeth Borne (Transition écologique) et Jean-Michel Blanquer (Education).

Les établissements scolaires de Rouen rouvriront lundi matin. « Tous les nettoyages auront eu lieu dans les écoles, collèges et lycées qui ont été fermés », a assuré M. Blanquer.

L’odeur « très entêtante peut effectivement donner des maux de tête, voire aller jusqu’à des vomissements, mais elle n’est pas synonyme de situation toxique », a assuré un médecin, Benoît Jardel, lors d’une conférence de presse à la préfecture.

« Le mercaptan, puisqu’il s’en est dégagé, est un gaz qui provoque, dès de très très faibles concentrations, des réactions de l’organisme, mais il faudrait des concentrations très importantes pour avoir des choses à long terme », a-t-il ajouté.

En janvier 2013, une fuite de ce gaz sur le site de Lubrizol avait provoqué un nuage nauséabond qui s’était répandu jusqu’en région parisienne et en Angleterre, incommodant des millions de personnes.

Au total 51 personnes ont consulté les établissements de santé rouennais jeudi et vendredi matin à cause de l’incendie. Cinq d’entre elles, des adultes qui avaient déjà des pathologies respiratoires auparavant, ont été hospitalisées.

« Cancérogène »

Annie Thébaud Mony, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, craint elle la toxicité à long terme du panache de fumée qui a mesuré jusqu’à 22 km de long. « L’inquiétude est absolument légitime. Ce nuage qui est passé au-dessus de Rouen est chargé en poussière hautement toxique, au minimum cancérogène », a déclaré cette scientifique spécialisée dans les cancers professionnels, interrogée par l’AFP.

« Le préfet ne ment pas quand il dit qu’il n’y a pas de toxicité aiguë du nuage, mais il ne peut écarter la toxicité sur le long terme », ajoute Mme Thébaud-Mony, soulignant que le risque cancérogène existe même pour une exposition de courte durée.

Quant aux galettes d’hydrocarbures apparus sur la Seine, pour Mme Thébaud-Mony ce sont « des produits toxiques très dangereux, assimilables aux fumées des moteurs diesel ».

L’association écologiste Robin des bois voit dans les suies un « problème diffus, mais majeur ». Elle redoute « des eaux polluées » par les nettoyages qui pourraient aboutir dans la Seine, selon son porte-parole Jacky Bonnemains, interrogé par l’AFP.

L’usine, où travaillent environ 400 employés, fabrique et commercialise des additifs qui servent à enrichir les huiles, les carburants ou les peintures industriels. Elle a été classée « Seveso seuil haut » ce qui signale sa dangerosité et implique qu’elle bénéficie d’une surveillance particulière.

Le parquet a annoncé jeudi l’ouverture d’une enquête pour destructions involontaires dans cette usine, propriété du groupe de chimie américain Lubrizol Corporation, lui-même contrôlé par Berkshire Hathaway, société de portefeuille du milliardaire et célèbre investisseur américain Warren Buffett.