(Moscou) La justice russe a infligé mardi de premières lourdes condamnations à des manifestants pour «violences» contre la police, tout en allégeant les accusations portées contre d’autres après la série d’actions de protestation qui secoue Moscou depuis la mi-juillet.

Les tribunaux russes ont soufflé le chaud et froid tout au long de la journée mardi, à moins d’une semaine d’élections locales et régionales controversées, pour lesquelles l’exclusion des candidats d’opposition a provoqué le plus important mouvement de contestation depuis le retour de Vladimir Poutine au Kremlin en 2012.

Deux des manifestants, Ivan Podkopaïev et Danila Beglets, ont été respectivement condamnés à trois et deux ans de prison pour «violences» : l’un pour avoir aspergé de gaz lacrymogène des policiers, l’autre pour avoir violenté l’un d’entre eux. Les deux hommes avaient plaidé coupable.

Un internaute, Vladislav Sinitsa, a pour sa part été condamné à cinq ans de prison pour «incitation à la haine» à la suite d’un tweet dans lequel il suggérait de s’en prendre aux enfants des policiers après la répression d’une manifestation.

Dans un recul surprise, les enquêteurs ont cependant allégé les graves accusations portées contre six autres personnes, dont un ancien cadet de l’armée ayant participé à des défilés sur la Place Rouge, les requalifiant en violations administratives, passibles d’amendes ou de courtes peines de prison.

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Des manifestants à Moscou, début août, réclament la libération d'Egor Joukov.

Parmi ceux-ci figure le plus connu des manifestants emprisonnés, Egor Joukov, un étudiant et blogueur populaire. Il a aussi été assigné à résidence tandis qu’une autre enquête le visant pour «extrémisme» a été ouverte, une accusation passible de cinq ans d’emprisonnement selon son avocat.

Plusieurs autres accusés ont été libérés pour être assignés à résidence, dans l’attente de leur procès. Mardi soir, trois autres hommes étaient toujours jugés et risquaient de lourdes peines de prison ferme, demandées par le Parquet, le jugement n’étant pas attendu avant mercredi.

«Vengeance»

Les procès visant l’opposition et ses partisans se sont multipliés ces deux derniers mois dans un contexte de répression du mouvement de contestation avant le scrutin prévu pour le 8 septembre.

Arrêté lundi soir, Ilia Azar, un journaliste du média d’opposition Novaïa Gazeta, encourt jusqu’à 30 jours de prison pour avoir été l’un des meneurs du mouvement.

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Ilia Azar

Devant à l’origine comparaître devant un juge mardi, le journaliste a déclaré que le tribunal avait renvoyé son affaire au 23 septembre en raison d’«erreurs» dans les documents présentés par la police.

Le fait que les policiers l’aient emmené au poste en laissant son bébé de moins de deux ans seul chez lui a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux. Le défenseur des droits des enfants auprès du Kremlin a appelé à ouvrir une enquête sur les agissements des forces de l’ordre.  

«Il s’agit tout simplement d’une vengeance basse et démonstrative parce que nous ne voulons pas renoncer à nos droits», a réagi sur Twitter le principal opposant au Kremlin, Alexeï Navalny, qui a récemment retrouvé la liberté après 30 jours de prison.

Autres meneurs du mouvement de protestation, le militant Nikolaï Liaskine et la jeune avocate Lioubov Sobol ont également été arrêtés lundi soir par la police.

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Lioubov Sobol fait un selfie lors de la manifestation de samedi à Moscou.

Les deux opposants, accusés d’avoir organisé des manifestations sans avoir obtenu l’aval des autorités, ce qu’exige la loi, ont été relâchés peu après mais Lioubov Sobol a été à nouveau condamnée mardi à une amende de 300 000 roubles (6000 $ CAN), inhabituellement lourde selon les standards russes.  

Depuis le début de l’été, elle a reçu cinq amendes pour un total de 1,23 million de roubles (23 400 $ CAN).

Condamnations à répétition

Des manifestations ont eu lieu quasiment chaque week-end dans la capitale russe depuis la mi-juillet pour protester contre l’éviction de candidats de l’opposition à l’élection du Parlement de Moscou. Pour la plupart non autorisées, elles ont donné lieu à près de 2700 arrestations.

La plupart des meneurs du mouvement ont enchaîné de courtes peines de prison, à l’exemple d’Ilia Iachine, emprisonné pour la cinquième fois consécutive la semaine dernière.

L’organisation de M. Navalny, le Fonds de lutte contre la corruption, est quant à lui visé par une enquête pour «blanchiment» d’argent.

Le scrutin de dimanche à Moscou et les autres élections régionales et locales qui se dérouleront parallèlement s’annoncent difficiles pour les candidats du pouvoir, dans un contexte de grogne sociale et de stagnation économique.

Selon un récent sondage du centre Levada, près d’un quart des Russes sont prêts à participer à des actions de protestation. Si environ la moitié des personnes interrogées se disent indifférentes aux manifestations à Moscou, elles sont 41% à considérer que la police a fait un usage excessif de la force.