(Paris) Pour la première fois depuis 1958, un ancien président sera jugé pour corruption en France : la justice a définitivement validé le renvoi de Nicolas Sarkozy devant le tribunal correctionnel dans l’affaire dite des « écoutes ».

La Cour de cassation a rejeté mardi les derniers recours formés par l’ancien chef de l’État (2007-2012) et ses coprévenus, son avocat et ami Thierry Herzog et l’ex-haut magistrat Gilbert Azibert, qui tentaient d’éviter un procès.

Le procès de Nicolas Sarkozy, sur lequel pèse par ailleurs la menace d’un autre procès pour « financement illégal » de sa campagne de 2012, devrait se tenir dans les prochains mois à Paris. Aucune date n’est encore fixée.

L’ancien président Jacques Chirac (1995-2007) avait été déjà jugé dans une affaire politico-financière, mais pour des faits différents : il avait été condamné en 2011 pour « détournements de fonds publics » dans une affaire d’emplois fictifs à la mairie de Paris, qu’il a longtemps dirigée.

M. Sarkozy est retraité politique depuis fin 2016. Il est soupçonné d’avoir tenté d’obtenir début 2014, via son avocat Thierry Herzog, des informations secrètes auprès de Gilbert Azibert dans une procédure concernant la saisie de ses agendas dans l’affaire Bettencourt (une affaire de dons octroyés à l’ancien parti de droite UMP par la richissime héritière du groupe L’Oréal Liliane Bettencourt, soldée pour lui par un non-lieu en 2013) en échange d’un coup de pouce à l’ex-magistrat pour un poste prestigieux à Monaco.

Au terme de leur instruction, émaillée de nombreux recours, les juges français avaient ordonné le 26 mars 2018 un procès pour « corruption » et « trafic d’influence » contre les trois hommes, conformément aux réquisitions du parquet national financier (PNF) en octobre 2017. MM. Herzog et Azibert seront aussi jugés pour « violation du secret professionnel ».

Dans un réquisitoire sévère, le 5 octobre 2017, le PNF avait comparé les méthodes de Nicolas Sarkozy à celles d’« un délinquant chevronné » et stigmatisé les nombreux recours intentés par ses avocats qui avaient « paralysé » l’instruction.

Alias « Paul Bismuth »

L’affaire trouvait son origine dans des interceptions de conversations téléphoniques de l’ex-président avec son avocat, diligentées dans le cadre d’une autre enquête, celle sur les accusations de financement libyen de sa campagne de 2007.

Grâce à ces écoutes, les policiers avaient notamment découvert que Nicolas Sarkozy utilisait un portable secret ouvert au moyen d’une carte prépayée sous l’alias de « Paul Bismuth » pour communiquer avec un unique interlocuteur : son avocat.

D’après les conversations enregistrées, Nicolas Sarkozy semblait s’engager à intervenir en faveur de Gilbert Azibert pour un poste de prestige à Monaco, qu’il n’a finalement jamais eu.

Nicolas Sarkozy avait renoncé à cette démarche au dernier moment, toujours d’après ces écoutes. Pour les enquêteurs, ce revirement peut s’expliquer par le fait que Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog venaient d’apprendre que leurs téléphones secrets avaient été placés sur écoute.

Les enquêteurs se sont aussi interrogés sur d’éventuelles interventions de Gilbert Azibert, que ce dernier réfute, pour influer sur la décision des magistrats de la Cour de cassation, qui avaient rendu une décision défavorable à l’ex-chef de l’État sur ses agendas dont le contenu était susceptible d’intéresser des magistrats enquêtant dans d’autres dossiers, notamment l’arbitrage Tapie (du nom de l’homme d’affaires poursuivi dans une escroquerie présumée à 400 millions d’euros, dont le jugement tombera le 9 juillet).

« M. Azibert n’a rien obtenu, je n’ai pas fait de démarche et j’ai été débouté par la Cour de cassation » concernant les agendas, s’était défendu l’ancien président après sa mise en examen.

Les écoutes policières, socle de l’accusation, avaient été validées par la Cour de cassation en mars 2016. Mais elles devraient encore alimenter une âpre bataille à l’ouverture du procès.  

Dans ses derniers recours, la défense de Nicolas Sarkozy soulevait notamment une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) datant de juin 2016, selon laquelle une retranscription d’écoutes peut être utilisée contre un avocat, mais pas son client.

« La Cour de cassation n’a pas écarté les moyens de droit qui avaient été soulevés par la Défense, mais a choisi de laisser au tribunal le soin de les trancher », a réagi dans un communiqué à l’AFP son avocate, Jacqueline Laffont.

« Il appartiendra au tribunal de dire si une juridiction française peut s’affranchir d’une décision » de la CEDH, a-t-elle notamment déclaré.

Nicolas Sarkozy vit sa retraite politique sous pression judiciaire : il a également été inculpé le 21 mars 2018, notamment pour corruption passive, dans l’affaire libyenne.