(SAINT-AUBIN-SUR-MER) Elise Landschek est journaliste indépendante. Quand elle a proposé des reportages sur le débarquement à des médias allemands, la réception n’a pas été très enthousiaste.

« Ils m’ont dit : “On a déjà fait le 70e anniversaire. Ce n’est qu’un autre jubilé. C’est toujours un peu la même chose, non ?” »

Elle a fini par les convaincre. Ses topos ont été diffusés sur Deutschlandfunk, Spiegel Online et dans la Berliner Zeitung.

Mais la réaction initiale de ses clients en dit long sur le malaise qui perdure en Allemagne par rapport à la Seconde Guerre mondiale. Alors que les Canadiens, les Britanniques, les Français et les Américains s’apprêtent à souligner en grande pompe le 75e anniversaire du jour J, Berlin jouera de nouveau la carte de la sobriété. Aucune manifestation n’est prévue le jeudi 6 juin au pays d’Angela Merkel.

« Pour nous, le jour J n’est rien. On en parle dans les médias, mais c’est à peu près tout », confirme Andreas Gugau, qui s’est intéressé au sujet pour le quotidien Heilbronner Stimme.

Le journaliste précise par ailleurs qu’en Allemagne, les grandes commémorations ont plutôt lieu le 8 mai, à l’initiative du gouvernement fédéral. « Cette date souligne officiellement la défaite d’Hitler et la fin de la guerre, le 8 mai 1945. Depuis 1985, c’est officiellement devenu le Jour de la libération. »

Conscience nationale

Soixante-quinze ans plus tard, l’Allemagne n’a toujours pas fait la paix avec la Seconde Guerre mondiale. Ce sombre épisode, associé au nazisme et à la folie d’un homme, demeure un traumatisme national et une source de profondes réflexions.

Il y a quatre ans, lors des commémorations entourant le 70e anniversaire de la fin du conflit, l’historien Heinrich August Winkler avait notamment décrit le parcours d’Hitler comme la « victoire du mythe sur le bon sens », une victoire dont on devrait encore « tirer des leçons », avait-il ajouté, en évoquant la montée du parti d'extrême droite AfD, qui détient actuellement 90 sièges au Parlement allemand.

Forcément, le patriotisme associé à la guerre n’est pas ici un concept qu’on cultive.

PHOTO TIRÉE DE NDR.DE

Elise Landschek

« On n’a pas d’histoires héroïques comme les Canadiens ou les Américains. Nos héros de guerre sont plutôt les résistants, les gens qui ont caché des Juifs. » — Elise Landschek, journaliste allemande

Ce sont eux, dit-elle, qu’on célèbre lors des célébrations historiques. Et non pas des vétérans bardés de médailles, comme c’est le cas chez nous. Tabous, les anciens combattants ? En quelque sorte. « Tout ce qui est guerre ici, ce sont les nazis, la Wehrmacht, ces gens qui ont tué des milliers de personnes. On ne veut pas. On ne parle pas de ça. »

Revenue de son reportage en Normandie, Elise constate qu’ironiquement, la réhabilitation du « sale Boche » est beaucoup plus palpable en France qu’en Allemagne. Des témoins du débarquement lui ont notamment confié avoir eu plus de problèmes avec les bombardements alliés qu’avec les soldats allemands, qu’ils avaient côtoyés pendant quatre ans. Rémy et Marguerite Cassigneul, qui étaient sur place le 6 juin 1944, le confirment. « Les Allemands ? Non, ça allait. On n’a jamais eu de problèmes avec eux », lance Rémy Cassigneul.

« Pour moi, c’est étonnant, dit Elise Landschek, car les Allemands étaient quand même les occupants… Ces gens sont plus gentils avec les Allemands que nous avec notre propre peuple ! »