Les populistes, particulièrement de droite, ont toujours le vent en poupe en Europe et risquent d’en faire encore une fois la démonstration lors des élections européennes prévues dans quelques semaines.

« La poussée populiste est toujours manifeste sur le continent à peu près partout où l’on regarde », indique en entrevue Hugh Carnegy, qui cite en exemple le scrutin tenu la semaine dernière en Espagne.

Bien que les socialistes aient remporté le plus de sièges, le rédacteur en chef du Financial Times juge que c’est d’abord et avant tout l’élection d’une dizaine de députés d’extrême droite qui doit retenir l’attention.

« La gauche a mieux fait que prévu, mais on retient surtout que c’est la première fois que l’extrême droite réussit à faire élire des députés dans le pays depuis la destitution de Franco », relève-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR HUGH CARNEGY

Hugh Carnegy, rédacteur en chef du Financial Times

M. Carnegy, qui participait hier soir à Ottawa à une discussion publique avec le ministère des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, sur la question du populisme, relève que le moteur premier de la dérive en cours à l’échelle européenne et au-delà est la frustration des classes moyennes par rapport à la détérioration de leur situation économique.

Les inégalités, note le journaliste, avaient commencé à croître avant la crise de 2008, mais elles ont pris une ampleur considérable après que les gouvernements de nombreux États ont investi des sommes énormes pour sauver les grandes banques de la faillite.

Des coupes, souvent importantes, ont été effectuées dans les programmes sociaux pour absorber la facture, forçant les plus démunis à assumer une part importante du contrecoup.

M. Carnegy, qui a été correspondant à Paris pendant plusieurs années pour le Financial Times, souligne que le mouvement des Gilets jaunes en France est alimenté en partie par la colère populaire résultant de cette dynamique.

C’est une décision à caractère économique, soit la hausse du prix des carburants, qui a fait déborder le vase, poussant des milliers de personnes à prendre la rue.

La crise des réfugiés syriens de 2015 est un autre facteur ayant contribué à la poussée populiste actuelle, relève M. Carnegy.

Le représentant du Financial Times souligne que la question a eu une importance cruciale notamment durant la campagne du Brexit en Grande-Bretagne.

Des dirigeants populistes comme Nigel Farage ont affirmé à répétition que le pays risquait d’être submergé par une vague de migrants pour convaincre la population de rompre avec l’Union européenne, devenue une sorte de « paratonnerre » pour les frustrations nationales.

« Beaucoup de gens sont encore soupçonneux à l’égard des étrangers », souligne M. Carnegy.

Les distorsions factuelles relativement à la question migratoire ont été facilitées par la montée en puissance des réseaux sociaux, relève-t-il.

« Les gens y développent des visions complètement erronées de la réalité », indique l’analyste, qui voit ce phénomène comme un facteur majeur dans la détérioration du dialogue social.

« Plusieurs politiciens commencent d’ailleurs à parler de la nécessité de réguler les plateformes des grands médias sociaux », indique le journaliste.

M. Carnegy pense que des réformes s’imposent aussi sur le plan économique pour endiguer les iniquités qui alimentent la colère populaire.

L’écart entre la rémunération des dirigeants d’entreprise et les employés atteint des proportions inacceptables et devrait être freiné, dit-il.

L’utilisation par des multinationales de mécanismes d’optimisation fiscale leur permettant de payer peu, ou pas, d’impôts doit aussi être contrée, indique-t-il.

Cette question requiert cependant une coordination transfrontalière qui peine à se concrétiser, comme pour la lutte contre le réchauffement climatique.

Le manque de consensus relativement à la nécessité de taxer de grands acteurs de la Silicon Valley témoigne de la difficulté de l’exercice, illustre M. Carnegy.

« Les pays de l’Union européenne tentent d’arriver à une approche unifiée, mais ils sont incapables de s’entendre à ce sujet », déplore-t-il.