Ébranlée par des démissions de ministres en série, la première ministre britannique Theresa May a défendu jeudi bec et ongles son projet d'accord de divorce avec l'Union européenne, faisant planer la menace d'un retour en arrière sur le Brexit si elle n'obtenait pas de soutien.

« Je crois, avec chaque fibre de mon être, que le chemin que j'ai suivi est le meilleur pour mon pays », a déclaré Mme May devant la presse en fin de journée, assurant agir dans « l'intérêt national ».

Elle avait auparavant affronté pendant trois heures des députés vent debout contre l'accord, tentant de les convaincre de soutenir le texte de près de 600 pages qui avait provoqué plus tôt la démission de quatre membres de son gouvernement, dont son ministre en charge du Brexit Dominic Raab.

« Le choix est clair : nous pouvons choisir de partir sans accord, risquer qu'il n'y ait pas de Brexit du tout, ou choisir de nous unir et soutenir le meilleur accord que nous pouvions négocier, cet accord », a prévenu Mme May.

Mais outre l'hostilité prévisible de l'opposition, la cheffe du gouvernement est en butte à celle de bon nombre de députés de son propre parti, dont plusieurs tentent d'organiser un vote de défiance pour l'évincer.

C'est le député conservateur pro-Brexit Jacob Rees-Mogg, à la tête du puissant groupe parlementaire eurosceptique European Research Group (ERG), qui est à la manoeuvre, l'accusant d'avoir trahi les promesses faites au peuple britannique.

L'appui de 48 députés, soit 15 % du groupe conservateur aux Communes, est toutefois nécessaire pour organiser un tel vote et il faudrait ensuite qu'une majorité de députés conservateurs votent contre Theresa May. Le député europhile Kenneth Clarke s'est dit sceptique : « il n'y a pas d'alternative », a-t-il confié à Sky News.

Alors que mercredi soir la première ministre se targuait d'avoir obtenu le soutien de son cabinet, les démissions se sont enchaînées jeudi avec, outre le départ de Dominic Raab, ceux de la secrétaire d'État du Brexit Suella Braverman, du secrétaire d'État à l'Irlande du Nord Shailesh Vara, et de la ministre du Travail Esther McVey, inquiets notamment du sort réservé à la province britannique d'Irlande du Nord après le Brexit.  

Second référendum

Ces démissions ont conforté les partisans d'une sortie sans accord avec l'UE dans le propre camp de Mme May.

Elles ont aussi ragaillardi les partisans d'un second référendum sur le Brexit, une idée qui gagne du terrain même si Theresa May a répété jeudi qu'elle n'y recourrait pas.  

Un rassemblement en faveur d'un second référendum s'est tenu jeudi près du Parlement. « C'est un chaos total », a confié Emma Roper-Evans, une écrivaine de 53 ans, à l'AFP. « Tout le château de cartes est en train de s'effondrer ».

Le projet d'accord prévoit un « filet de sécurité » (backstop en anglais), solution de dernier recours prévoyant le maintien de l'ensemble du Royaume-Uni dans une union douanière avec l'UE ainsi qu'un alignement réglementaire plus poussé pour l'Irlande du Nord, si aucun accord sur la future relation entre Bruxelles et Londres n'était conclu à l'issue d'une période de transition de 21 mois après le Brexit, prévu le 29 mars 2019, et prolongeable une fois.  

Pour Dominic Raab, « le régime réglementaire proposé pour l'Irlande du Nord présente une menace très réelle pour l'intégrité du Royaume-Uni ».  

Mme May a fait valoir qu'aucun accord avec Bruxelles ne serait possible sans cette assurance.

Theresa May doit à présent convaincre les parlementaires de voter le projet d'accord en décembre, une fois qu'il sera entériné lors d'un sommet européen le 25 novembre à Bruxelles.  

La tâche s'annonce rude : son allié, le petit parti unioniste nord-irlandais, dont les dix députés lui sont indispensables pour avoir une majorité absolue, a ouvertement exprimé son opposition. Quant au Parti travailliste, il a laissé entendre qu'il ne voterait pas le texte.

Le Brexiter conservateur Mark Francois a calculé qu'il était « mathématiquement impossible » de le faire adopter.  

Un autre Tory, Andrew Bridgen, a carrément appelé Theresa May à démissionner « dans l'intérêt national ».  

« Le gouvernement est en plein chaos », a résumé le leader de l'opposition travailliste Jeremy Corbyn.

La cacophonie régnant au Royaume-Uni, qui a fait chuter la livre sterling de près de 2 % face à l'euro et au dollar, contrastait avec la satisfaction du Parlement européen, selon lequel l'accord est « le meilleur » possible pour l'UE.  

La chancelière allemande Angela Merkel s'est dite « très contente », tandis que le premier ministre français Édouard Philippe a jugé que le projet était « un grand pas » tout en pointant des « inquiétudes » quant à son adoption finale.

Le président du Conseil européen Donald Tusk a assuré que l'UE était prête pour un « accord final » avec le Royaume-Uni en novembre. « Nous sommes aussi préparés pour un scénario d'absence d'accord. Mais évidemment, nous sommes mieux préparés pour un scénario d'absence de Brexit », a-t-il ajouté avec un sourire.