Pour le meilleur et pour le pire, elles sont partout. Et cela donne bien des maux de tête aux autorités. Alors que Québec cherche la meilleure façon d'encadrer l'usage des trottinettes électriques, la France s'apprête à légiférer pour les contrôler.

Cela a commencé au mois d'août, très discrètement. Puis on s'est mis à les voir de plus en plus, jusqu'à ne plus pouvoir les ignorer.

En trois mois, les trottinettes électriques en libre-service ont envahi les rues de Paris, pourtant déjà bien encombrées. Impossible de se promener sans voir filer à vive allure ces engins aux allures de gros jouets, qui peuvent atteindre 25 km/h et suscitent l'enthousiasme chez les ados comme chez les adultes.

« C'est drôle, c'est pratique, ça va vite, c'est trop bien », résume Maela, 15 ans, croisée à l'ombre du Centre Beaubourg avec sa trottinette.

« En plus, on les trouve facilement », ajoute son amie Mathilde, qui en est pour sa part à son premier essai et peine à dissimuler son excitation.

« Il faut faire gaffe parce que ça va quand même vite », ajoute Chrtistian, bobo à écharpe qui s'apprête à démarrer la sienne, tout près de la place des Vosges.

Même s'il se méfie des accidents, cet avocat dans la cinquantaine dit avoir adopté « sans hésiter » ce nouveau moyen de transport, qui lui permet de se rendre plus rapidement au métro.

« Du coup, je prends moins le taxi », dit-il, l'air satisfait.

UN PHÉNOMÈNE EN EXPANSION

Rapides, ludiques, pas cher et bonnes pour l'environnement : les trottinettes électriques s'imposent de plus en plus comme une solution de rechange intéressante aux moyens de transport traditionnels.

Mais ce qui était jusqu'ici le fait de quelques branchés parisiens se transforme en véritable engouement, depuis l'entrée en scène, au mois d'août, de trois start-up américaines concurrentes (Lime, Bird et Bolt), qui se disputent le marché européen des trottinettes électriques « sans ancrage ».

Un plan de conquête, financé par de multiples campagnes de fonds (Google vient de miser 300 millions sur Lime), qui comprend notamment Paris, Bordeaux, Lyon, Vienne, Madrid, Prague, Zurich, Berlin et Bruxelles.

Bref, on ne peut plus parler d'un « buzz » confidentiel, mais d'un phénomène en expansion. Ce que confirme d'ailleurs une étude menée récemment par l'Association française de la prévention routière, où l'on apprend que 92 % des Français ont « déjà entendu parler » des trottinettes électriques et que 57 % se disent « prêts à les utiliser ».

« Pour nous, c'est le signe que ce n'est pas juste un phénomène de mode dans le centre de Paris », résume Anne Laveau, porte-parole de l'association.

UNE LOI À VENIR

La prolifération des trottinettes électriques relance par ailleurs la question de la sécurité et de l'occupation de l'espace public.

Une enquête publiée en septembre par le journal Le Parisien révèle que les trottinettes électriques (surtout) et les patins à roulettes (un peu) ont fait près de 300 blessés et 5 morts l'an dernier en région parisienne, soit une augmentation de 23 % des accidents en un an.

Un problème sérieux, qui s'aggravera logiquement avec l'arrivée massive des entreprises Bird, Bolt et Lime.

Pour répondre à ce danger potentiel, la ministre des Transports de France a annoncé, fin octobre que les trottinettes, rollers (patins), hoverboards (planches gyroscopiques) et autres « gyroroues » seraient désormais interdits sur les trottoirs, en vertu de la nouvelle loi sur la mobilité prévue pour 2019.

La loi prévoira en outre un encadrement pour les services de véhicules « sans ancrage », afin d'éviter que ces derniers ne soient laissés n'importe où après usage, ce qui est actuellement le cas, faute de règlements adaptés.

Autant de grain à moudre pour notre propre ministère des Transports, qui, selon un article paru en nos pages en septembre, dit étudier sérieusement la façon d'encadrer l'arrivée des sociétés de trottinettes électriques au Québec.

DES DOUTES

De là à parler du « véhicule de l'avenir », il n'y a qu'un pas, qu'Olivier Ramezon hésite clairement à franchir.

Spécialiste des transports au journal Le Monde, M. Ramezon fait valoir qu'avec 5000 déplacements par jour en moyenne à Paris, la compagnie Lime ne représente pour l'instant que le dixième des 55 000 mouvements par jour recensés par les vélos de Vélib. Que Vélib lui-même ne représente que 20 % des déplacements à vélo à Paris et que le vélo en général ne représente que 5 % du transport parisien.

« Je préfère rester prudent quand on parle de massification, conclut le journaliste, auteur du blogue L'interconnexion n'est plus assurée. Pour l'instant, ça reste une niche. Et je ne suis pas certain que les investisseurs vont se contenter, dans quelques mois, de n'avoir que 5 % ou 10 % du marché. Il y a une concurrence très forte, pas mal d'accidents. Pour inonder une ville qui a déjà un moyen de transport structurant qui s'appelle le métro, je ne suis pas du tout certain qu'ils vont tenir la longueur.... »

TROTTINETTES EN LIBRE SERVICE : MODE D'EMPLOI

Il suffit de télécharger l'application, de géolocaliser les trottinettes disponibles près de sa position et de libérer l'engin en balayant son code avec son téléphone intelligent. Il en coûte un euro (1,50 $CAN) pour débloquer l'engin, puis 15 centimes (25 cents) par minute d'utilisation, qui se résume à appuyer sur un bouton pour avancer. Une fois à destination, il ne reste qu'à laisser l'engin sur un trottoir, après l'avoir verrouillé par téléphone. Exactement le même principe que les vélos sans ancrage en libre-service, apparus l'an dernier à Paris, qui ont largement profité du cafouillage des nouveaux Vélib' (le BIXI parisien) pour s'approprier une part du marché. Les trottinettes sont récupérées après 22 h par des autoentrepreneurs, qui les rechargeront pendant la nuit avant de les redéployer en des endroits stratégiques le lendemain matin. Bien qu'il refuse de dévoiler le chiffre exact, le président de Bird en France, Kenneth Schlenker, affirme déposer « entre plusieurs centaines et quelques milliers » de trottinettes par jour à Paris.