Le gouvernement socialiste espagnol a approuvé vendredi le décret permettant l'exhumation de l'ancien dictateur Franco de son mausolée, une décision qui divise en Espagne où le travail de mémoire provoque toujours une fracture politique.

«Nous célébrons les 40 ans de l'Espagne démocratique, d'un ordre constitutionnel stable et mûr [...] et ce n'est pas compatible avec une tombe d'État où l'on continue à glorifier la figure de Franco», a insisté la numéro deux de l'exécutif Carmen Calvo devant la presse.

«Nous ne pouvons pas perdre un seul instant», a-t-elle martelé en ajoutant que l'exhumation, à laquelle la famille de l'ancien dictateur est farouchement opposée, pourrait avoir lieu «à la fin de l'année».

La solution la plus plausible serait de transférer la dépouille de Franco dans le caveau familial du cimetière du Pardo, au nord de Madrid. Mais en cas d'absence d'accord avec ses descendants, le gouvernement choisira le lieu où l'enterrer, a assuré Carmen Calvo.

Le décret du gouvernement va devoir désormais être voté par la chambre des députés, où les socialistes sont très minoritaires, mais où ils pourront compter sur l'appui de la gauche radicale de Podemos, des indépendantistes catalans et des nationalistes basques pour obtenir la majorité simple nécessaire.

Arrivé au pouvoir le 1er juin après avoir fait renverser le conservateur Mariano Rajoy par le Parlement, le chef du gouvernement Pedro Sanchez avait immédiatement fait de cette exhumation l'une de ses priorités, en mettant en avant une résolution adoptée par le Parlement en 2017, mais restée lettre morte.

«L'Espagne ne peut pas se permettre, en tant que démocratie consolidée et européenne, des symboles qui divisent les Espagnols», avait-il plaidé, en soulignant que l'existence d'un mausolée abritant la dépouille d'un ancien dictateur serait «inimaginable en Allemagne ou en Italie».

Une fois la dépouille de Franco retirée, le gouvernement compte faire de ce mausolée un lieu de «réconciliation» et de «mémoire» sur le modèle de ce qui a été fait dans les camps de concentration et d'extermination de l'Allemagne nazie.

Mausolée monumental

Franco, vainqueur de la terrible guerre civile espagnole (1936-1939) après un coup d'État contre la Seconde république et qui dirigea le pays d'une main de fer jusqu'à sa mort en 1975, est enterré au Valle de los Caidos (la vallée de ceux qui sont tombés) aux côtés de José Antonio Primo de Rivera, fondateur du parti fascisant de la Phalange.

Complexe monumental situé dans les montagnes à 50 kilomètres de Madrid et surplombé par une croix de 150 mètres de haut, ce mausolée abrite aussi les corps de quelque 27 000 combattants franquistes et d'environ 10 000 opposants républicains, raison pour laquelle le dictateur le présentait comme un lieu de «réconciliation».

Mais ses détracteurs le voient comme un symbole de division et de mépris pour les républicains dont les corps, extraits de fosses communes et de cimetières, y ont été transférés sans que leurs familles soient prévenues. En outre 20 000 prisonniers politiques ont participé à sa construction entre 1940 et 1959.

Selon des chiffres du Patrimoine national, organisme public gérant le mausolée, les visites y ont bondi depuis l'annonce de Pedro Sanchez : 38 269 visites en juillet contre 23 135 en juin.

Résistances de la droite

Signe de la fracture politique dans le pays sur la mémoire de la guerre civile et du franquisme, le gouvernement se heurte à un tir de barrage du Parti populaire (PP, droite), premier parti au Parlement, qui a déjà annoncé qu'il déposerait un recours devant la Cour constitutionnelle.

«Il importe plus [à Pedro Sanchez] de ressusciter les fantômes du passé que de tenter de séduire les gens avec l'avenir. Il s'intéresse plus à rouvrir les blessures déjà cicatrisées de notre pire passé plutôt que de se concentrer sur notre meilleur présent», a dénoncé le numéro un du PP, Pablo Casado.

Au-delà de l'exhumation de l'ancien dictateur, le gouvernement avait annoncé en juillet son intention de créer une «commission-vérité» sur la dictature de Franco, de recenser les victimes de la guerre civile et du régime franquiste et d'annuler les décisions des «tribunaux d'exception» franquistes.