Bien qu'officiellement contre l'avortement, l'Église catholique d'Irlande est restée relativement discrète durant la campagne sur le référendum historique de vendredi qui pourrait libéraliser le droit à l'IVG, actuellement limité aux cas de risque mortel pour la mère.

Dans un ultime communiqué diffusé lundi, Ray Browne, évêque du Kerry déclare: «je voterai "non" ce vendredi. Je vous encourage à faire de même», exprimant son «admiration pour ceux qui font campagne pour le droit à la vie».

Car en dépit de quelques ecclésiastiques présents dans des rassemblements antiavortement ou de nonnes participant à du tractage ponctuel, l'Église s'est peu montrée avant le référendum.

Pour Linda Hogan, professeur de religion au Trinity College de Dublin, il s'agit d'une «décision stratégique» de limiter les prises de parole officielles dans les médias nationaux, estimant «bien plus efficace de laisser des laïcs défendre les points de vue de l'Église».

Selon elle, c'est une leçon tirée du référendum de 2015 sur le mariage homosexuel, qui a «sonné l'alarme» pour l'Église, plus audible à l'époque, parce qu'en dépit des nombreux scandales, elle pensait «toujours compter sur une majorité pour soutenir ses positions».

Pour autant, l'institution ne renonce pas à transmettre son message «légitime», poursuit Linda Hogan, qui juge que cela se passe plutôt «au niveau de la paroisse que des ondes nationales».

Dans le vestibule de certaines églises irlandaises, on trouve en effet quelques tracts pour le «Non» qui voisinent avec l'actualité du diocèse, mais ils ne sont pas édités par la hiérarchie catholique.

Et ce sont aussi des militants pro-vie qui distribuent des brochures contre l'IVG à la sortie de la messe, indépendamment des paroisses.

Intervention «inappropriée»

Adrienne, 63 ans, fait partie de ces volontaires venus en ce dimanche de Pentecôte tenter de convaincre les éventuels indécis ou ceux qui ne sont pas sûrs d'aller voter devant une église du quartier populaire des Liberties, dans le centre de Dublin.

En dépit des sondages, cette infirmière de profession espère voir un «non retentissant» sortir des urnes vendredi, mais elle ne prêche pas que des convaincus à la sortie de la messe.

Elle enchaîne des discussions chaleureuses avec une majorité des paroissiens, mais certains refusent poliment le tract ou l'ignorent, comme cette femme d'une trentaine d'années qui tient sa petite fille par la main et semble adresser un reproche à celle qui lui tend le tract.

«Elle dit que chacun a droit à son opinion. Ça veut dire qu'elle vote oui», dit Adrienne dans un sourire nerveux, s'étonnant du nombre de catholiques qui semblent prêts à voter pour une libéralisation de l'avortement.

Ou à ne pas voter du tout, comme cet homme à l'imposante silhouette, vêtu d'un maillot de football gaélique, qui refuse d'un air grave le tract, se contentant de dire «ce n'est pas bien», n'appréciant pas cette distribution de tracts à la sortie de la messe.

L'association des prêtres catholiques (ACP), qui représente un bon tiers du clergé, s'est même inquiétée que des militants pro-vie aient pu utiliser la chaire d'une église pour faire passer leur message, jugeant ce type d'intervention «inapproprié».

Un «vote exprimé selon sa conscience, quel que soit le résultat, mérite le respect», a souligné l'ACP dans un communiqué, relevant même qu'en tant qu'«hommes non mariés et sans enfants», ses membres n'étaient «pas les mieux placés pour être dogmatiques sur cette question».

Lors de la messe de dimanche à l'église des Liberties, le prêtre officiant n'a que brièvement évoqué le référendum, le qualifiant de moment où «nous demandons à l'esprit de Dieu de nous guider dans notre choix».

Pour Linda Hogan, cette position nuancée s'inscrit dans une reconnaissance globale et plus marquée par l'Église des opinions variées de la société.

Dans un pays où près de 80% des habitants se déclarent catholiques, selon le recensement de 2016, «le fait que le Oui soit évalué à près de 53% suggère qu'il y a un écart entre ce qu'enseigne l'Eglise et ce que croient les catholiques», relève-t-elle.