Si Vladimir Poutine atteint tous les objectifs qu'il a énumérés pour son nouveau mandat de six ans à la tête de son pays, la Russie aura réalisé en 2024 des bonds vertigineux en matière de technologies et d'intelligence artificielle, plusieurs de ses routes en mauvais état auront été réparées, et l'espérance de vie de ses habitants aura été prolongée.

Mais ces promesses sont accueillies avec une bonne dose de scepticisme. Les analystes qui étudient ce qu'on peut attendre de ce nouveau mandat qui commence avec l'assermentation de lundi évoquent une « néo-stagnation ». Et moins de la moitié de la population russe lui fait vraiment confiance, selon la firme officielle de sondages.

M. Poutine a remporté ce nouveau mandat - qui lui permettra à terme de passer 25 ans à la tête du pays, s'il le complète - avec, officiellement, 77 % des voix lors du scrutin de mars.

Même si plusieurs irrégularités ont été dénoncées, il est clair qu'il a joui d'appuis robustes. Pourtant, quand le sondeur officiel VTsIOM a demandé aux Russes un mois plus tard à quel politicien ils faisaient confiance pour régler les problèmes du pays, seulement 47 % d'entre eux ont nommé M. Poutine.

Cet écart apparent entre son score le jour du vote et son taux de confiance permet de penser que M. Poutine est important aux yeux des Russes moins pour ce qu'il accomplit que pour ce qu'il représente - l'incarnation de leur identité nationale.

« Dans ce monde dichotomique, le Poutine symbolique est omnipotent, comme Saint-George qui triomphe du dragon occidental, mais le Poutine en chair et en os est à peine capable de régler les problèmes quotidiens des Russes ou de prévenir les tragédies », a écrit le mois dernier Andrei Kolesnikov, un analyste du Centre Carnegie de Moscou.

La force de M. Poutine est, justement, de réussir à projeter la puissance de la Russie. La technologie et l'espérance de vie prédites lors de son discours sur l'état de la nation, un peu avant l'élection, n'ont pas attiré autant d'attention que ses propos sur l'arsenal nucléaire apparemment invincible dont disposerait maintenant la Russie.

Il continuera certainement à imposer la présence de la Russie sur la scène mondiale - que ce soit en Syrie, où son implication militaire semble devoir se poursuivre jusqu'au bout, ou en Ukraine, où Moscou ne semble pas vouloir larguer les séparatistes dans l'est du pays.

Son annexion de la Crimée, son implication en Ukraine et son interférence alléguée avec la présidentielle américaine ont valu à la Russie des sanctions douloureuses, mais M. Poutine semble prêt à en payer le prix, d'autant plus qu'une hausse du cours du pétrole a recommencé à remplir les coffres de l'État.

Une question d'argent

L'économie s'est partiellement relevée du creux de 2015-2016, quand le rouble avait perdu près de la moitié de sa valeur, mais des inquiétudes persistent à long terme, surtout si la Russie est incapable de doper son secteur manufacturier ou de sevrer son économie de sa lourde dépendance envers les exportations d'hydrocarbures.

Le gouvernement cherche apparemment à réduire ses dépenses en augmentant l'âge d'admissibilité au régime de retraite public. Le vice-premier ministre Arkadi Dvorkovich a évoqué une hausse de quelques points de pourcentage de l'impôt sur le revenu.

M. Dvorkovich a d'ailleurs reconnu, récemment, que les récentes améliorations constatées en Russie sont attribuables à un seul facteur : la Coupe du monde de soccer qui aura lieu cet été.

« Je peux dire que sans la Coupe du monde, il n'y aurait pas de croissance économique en ce moment », a-t-il dit.

Si la disponibilité du financement pour les améliorations nationales est douteuse, il en va de même en ce qui concerne la volonté politique de les concrétiser pendant le nouveau mandat de M. Poutine.

Andrew Wood, un spécialiste de la Russie à la Chatham House britannique, explique que « le principal objectif du régime en place est de préserver son emprise sur le pouvoir ».

Conséquemment, écrit-il, « [le régime] continuera d'ici à 2024 à respecter les trois règles énoncées par Poutine en 2012 : se passer de réformes économiques importantes en raison des risques politiques que cela implique, contrôler la population et poursuivre les ambitions d'une »grande puissance« ».

Le principal adversaire de M. Poutine, le militant anticorruption Alexeï Navalny, a appelé à des manifestations nationales samedi, deux jours avant l'assermentation. Mais l'opposition russe risque de demeurer marginale, puisqu'on lui refuse fréquemment le droit de manifester et que les grands médias ne lui accordent aucune attention.

Des manifestations importantes ont quand même eu lieu depuis la réélection de M. Poutine : l'une d'entre elles a été organisée après un incendie qui a fait 60 morts dans un centre commercial de la Sibérie, et plusieurs communautés de la région de Moscou ont manifesté contre la présence de dépotoirs dangereux.

Ces contestations, toutefois, visaient l'incompétence des dirigeants locaux, pendant que M. Poutine plane au-dessus de la mêlée.

Le principal intérêt de ce nouveau mandat ne tiendra donc pas autant à ce qui se passera pendant qu'à ce qui se passera après.

La Constitution interdit à M. Poutine de briguer un troisième mandat consécutif en 2024, et on se demande si celui qui aura 72 ans à ce moment voudra demeurer en poste au point de risquer une modification constitutionnelle.

Dans un système où la véritable opposition politique a été muselée, des manoeuvres au grand jour pour succéder à M. Poutine sont peu probables. On le voit plutôt bénir un successeur docile et continuer à tirer les ficelles en coulisses.