L'avenir politique de la Catalogne, sous tutelle du gouvernement espagnol depuis six mois, est entre les mains de son ex-président, l'indépendantiste Carles Puigdemont qui, depuis l'Allemagne, va décider s'il désigne son successeur ou provoque de nouvelles élections.

Cet ancien journaliste de 55 ans avait déconcerté le monde avec une déclaration d'indépendance avortée en octobre dernier. Puis il avait failli convoquer des élections régionales pour éviter que Madrid prenne le contrôle de sa région avant de se raviser et de permettre le 27 octobre, la proclamation d'une «République catalane» à Barcelone, restée sans effet.

Il avait ensuite quitté secrètement l'Espagne au moment où la justice commençait à incarcérer d'autres dirigeants indépendantistes.

Et pourtant, «celui qui tient le manche à l'heure actuelle, c'est Puigdemont», résume à l'AFP le politologue allemand Klaus-Jürgen Nagel, de l'Université Pompeu Fabra de Barcelone.

«Tout le monde regarde vers l'Allemagne, car aucun accord pour former un gouvernement régional n'est possible sans l'approbation de Puigdemont», approuve son collègue de l'Université autonome de Barcelone, Oriol Bartomeus.

Actuellement à Berlin, il attend de savoir si l'Allemagne va le remettre à l'Espagne, qui veut le juger pour «rébellion» et «détournement de fonds publics».

Depuis que le mouvement indépendantiste a remporté les élections régionales du 20 décembre, M. Puigdemont tire les ficelles pour la désignation de son successeur. Il reste indifférent aux appels de ceux qui, dans son propre camp comme au gouvernement espagnol, lui demandent de se mettre à l'écart pour permettre la formation d'un gouvernement catalan et la levée de la tutelle exercée par Madrid.

M. Puigdemont réunit samedi à Berlin les députés de son groupe parlementaire Ensemble pour la Catalogne et devrait annoncer sa décision.

Le temps presse: si le 22 mai un nouveau président catalan n'est pas désigné, un scrutin régional sera de nouveau convoqué, qui pourrait remettre en cause la majorité en sièges des indépendantistes.

Luttes intestines

Le scénario de nouvelles élections est rejeté par les deux principaux partis sécessionnistes, le PDECAT conservateur de Carles Puigdemont et la formation de gauche ERC de l'ancien vice-président catalan Oriol Junqueras, détenu depuis six mois.

Mais Puigdemont n'a pas réellement écarté cette possibilité.

Renoncer à redevenir président de la région est pour lui «très difficile», considère M. Bartomeus: d'une part, s'il le fait, «il n'aura plus aucun rôle politique» et d'autre part, «cela supposerait une certaine trahison de ses militants».

La principale promesse électorale de sa coalition Ensemble pour la Catalogne avait été de le rétablir à la présidence régionale dont Madrid l'avait destitué.

Alors que les conservateurs au pouvoir en Espagne le traitaient déjà de «cadavre politique», Puigdemont avait triomphé le 21 décembre quand sa liste avait réuni le plus de voix dans le camp indépendantiste.

«Puigdemont a été sous-estimé. Sa stratégie, planifiée ou improvisée, a été un succès», assure M. Nagel.

Même son arrestation par surprise en Allemagne fin mars, alors qu'il était en route vers la Belgique, a tourné à son avantage quand un tribunal allemand l'a remis en liberté, début avril, en rejetant l'accusation de «rébellion» formulée par l'Espagne.

Reste à savoir ce que va décider le tribunal allemand qui examine la demande d'extradition.

Et «quelles possibilités a encore M. Puigdemont d'être investi? Je dirais: très peu», avertit M. Nagel.

Quand il l'avait tenté en janvier, la session d'investiture avait été suspendue sur ordre de la Cour constitutionnelle qui exige, avant toute chose, qu'il se livre à la justice espagnole.

Les deux candidats suivants, qu'il avait lui-même désignés - Jordi Sánchez et Jordi Turull - n'avaient pu être investis parce qu'il sont en détention provisoire.

«Je crois qu'à la dernière minute, (les indépendantistes) opteront pour un candidat viable, qui ait un profil plus technique et promette d'être fidèle à Puigdemont», présage M. Nagel.

Une description qui coïncide avec celle d'une économiste de 41 ans, Elsa Artadi - ex-bras droit et directrice de campagne de M. Puigdemont - dont le nom est le plus souvent avancé dans la presse espagnole pour occuper la présidence régionale.