La manoeuvre rappelle celle de Vladimir Poutine. Au terme de son second mandat, le président d'Arménie Serge Sarkissian vient d'être nommé premier ministre. Avec des pouvoirs accrus. Résultat, des milliers de personnes descendent dans la rue chaque soir, depuis une semaine, pour réclamer une « Arménie sans Serge ». Témoignage.

Izabelle Abgaryan n'a pas manqué une journée de manifestation depuis la semaine dernière.

L'enseignante de français, au chômage depuis quelques mois, raconte les événements en direct sur les réseaux sociaux.

« Je suis blogueuse depuis le 1er mars 2008, quand 10 personnes ont été tuées [lors d'émeutes] après l'élection présidentielle », a-t-elle raconté à La Presse dans un échange de messages.

« Les médias étaient censurés et j'ai commencé à écrire la vérité que je voyais de mes propres yeux dans les rues. »

L'élection présidentielle de 2008, qui avait été entachée de fraude, selon l'opposition, avait porté à la tête de l'État le premier ministre de l'époque, un certain Serge Sarkissian, celui-là même qui est redevenu premier ministre vendredi dernier, amenant des dizaines milliers de personnes à descendre dans les rues.

« L'Arménie a besoin de changement, d'un nouveau leader représentant la nouvelle génération de politiciens », s'exclame Izabelle Abgaryan, la quarantaine, qui est accompagnée de sa fille de 20 ans dans les manifestations.

PARALYSER L'ÉTAT

« Les manifestants entourent chaque jour les bâtiments ministériels et bloquent les avenues » afin de « paralyser » l'État, explique Izabelle Abgaryan.

Ces actions « décentralisées » ont aussi pour objectif d'« éviter la confrontation du peuple et des forces de l'ordre », bien que les policiers antiémeutes aient interpellé plusieurs dizaines de manifestants, mercredi.

S'ajoute à ces mouvements sociaux une grève étudiante d'une durée indéterminée touchant environ les deux tiers des universitaires du pays, ajoute Mme Abgaryan.

Si la capitale, Erevan, est le principal théâtre du mécontentement populaire, d'autres villes du pays ont également été touchées par des manifestations, comme Vanadzor, Armavir ou encore Gioumri.

C'est d'ailleurs de cette dernière, située à quelque 130 kilomètres d'Erevan, qu'était parti à pied un groupe mené par le député et leader de l'opposition Nikol Pachinian, pour dénoncer l'élection par le Parlement de Serge Sarkissian au poste de premier ministre.

« RÉVOLUTION DE VELOURS »

Nikol Pachinian a appelé mercredi soir à la désobéissance civile et proclamé le début d'une « révolution de velours » en Arménie, allusion aux manifestations pacifiques qui avaient provoqué la chute du régime communiste et la dislocation de l'État en Tchécoslovaquie, en 1989.

Une fin de régime, c'est ce que souhaitent les Arméniens qui manifestent depuis une semaine, craignant que Serge Sarkissian, qui cumule déjà plus de 10 ans au pouvoir, n'y demeure à vie.

Car la réforme constitutionnelle adoptée sous sa présidence et entrée en vigueur l'an dernier donne des pouvoirs accrus au premier ministre et relègue le président à un rôle protocolaire, en plus d'être élu par le Parlement, où son parti détient la majorité, plutôt qu'au suffrage universel.

« C'est une imitation de démocratie, tranche Izabelle Abgaryan. Le Parti républicain achète des votes et veut gérer jusqu'à la fin de nos jours. »