Le lanceur d'alerte franco-italien à l'origine des «SwissLeaks», Hervé Falciani, arrêté mercredi à Madrid, a été remis en liberté jeudi mais avec l'interdiction de quitter son lieu de résidence en Espagne, dans l'attente de l'examen d'une demande d'extradition présentée par la Suisse.

La Suisse le réclame pour qu'il purge une condamnation par contumace à cinq ans de prison ferme pour «espionnage économique» datant de 2015.

Placé sous strict contrôle judiciaire, M. Falciani s'est vu confisquer son passeport et il devra se présenter une fois par semaine devant un tribunal.

«Tout voyage ou sortie en dehors de la localité (où il vit) devra être autorisé par l'autorité judiciaire», lit-on dans l'ordonnance du juge de l'Audience nationale, haut tribunal chargé entre autres des affaires financières.

L'informaticien de 46 ans est célèbre pour avoir été à l'origine du retentissant scandale «Swissleaks» ou scandale «HSBC», déclenché en 2009 par la diffusion de dizaines de milliers de documents bancaires secrets.

Il avait ainsi révélé l'existence de comptes non déclarés dans la filiale genevoise de la banque HSBC qui l'employait. Ces comptes appartenaient à des clients pratiquant l'évasion fiscale à grande échelle, à travers le monde.

La «liste Falciani» avait ainsi permis d'identifier dès 2009 au moins 127 000 comptes appartenant à 79 000 personnes de 180 nationalités.

L'affaire avait déclenché des enquêtes dans divers pays dont la France, l'Espagne, la Grèce ou le Royaume-Uni. Et la Suisse a abandonné définitivement le secret bancaire en 2017.

Parmi les riches contribuables rattrapés par la justice grâce à la «liste Falciani», figurait l'héritière des parfums Nina Ricci, condamnée en 2017 en France à trois ans de prison avec sursis et un million d'euros d'amende pour fraude fiscale. En Espagne, le banquier Emilio Bottin avait été condamné à payer 299 millions d'euros au fisc.

Au procès de 2015, HSBC avait soutenu que Falciani «avait dérobé des informations confidentielles relatives aux clients de la banque d'une manière systématique dans le seul but de les revendre pour son propre enrichissement». Il était accusé d'avoir essayé de vendre ces listings au Liban avant de se réfugier en France où il avait transmis les fichiers au fisc. 

Demande d'extradition transmise 

À l'été 2012, Hervé Falciani avait déjà été arrêté et placé en détention pour plusieurs mois en Espagne, mais la justice espagnole avait refusé son extradition.

L'arrêt de l'Audience nationale était à l'époque sévère envers la banque, évoquant ses procédés «gravement irréguliers» et défendant Hervé Falciani comme «une personne qui, grâce à sa collaboration a permis la transmission d'informations à diverses autorités de plusieurs États dont l'Espagne (...) sur de nombreuses situations délictueuses».

Le nouveau mandat d'arrêt international visant Falciani a été émis par la Suisse il y a onze mois, le 3 mai 2017, a précisé jeudi l'Office fédéral de la justice suisse (OFJ).

Et M. Falciani a finalement été arrêté mercredi à Madrid, où il devait participer à un débat sur la nécessité de protéger les lanceurs d'alerte...

La presse espagnole a souligné la concomitance entre son arrestation et la probable présence en Suisse d'une dirigeante indépendantiste catalane réclamée par l'Espagne, Marta Rovira, partie en mars. Les médias suggéraient que M. Falciani pourrait servir de monnaie d'échange.

«Il y a une demande... et par conséquent, avec toutes les garanties judiciaires, une décision sera prise (...) il n'y a aucune décision politique», a commenté le ministre espagnol de la Justice, Rafael Catala.

«On ne peut pas affirmer qu'il y ait un lien avec l'exil en Suisse d'une indépendantiste catalane mais ce timing a surpris tout le monde», a déclaré pour sa part à l'AFP l'avocate française Amélie Lefebvre, appartenant au cabinet ayant assuré la défense d'Hervé Falciani. D'autant, a-t-elle ajouté, «qu'il ne vivait pas du tout caché, il avait des activités publiques» en Espagne.

La Suisse a transmis jeudi à l'Espagne une demande d'extradition formelle, selon l'OFJ.

Le Conseil des ministres espagnol doit ensuite donner son feu vert pour que cette demande soit prise en compte.

L'examen par la justice «peut ensuite prendre deux ou trois mois», a déclaré l'avocat de M. Falciani en Espagne, Manuel Ollé, à l'AFPTV et d'autres médias.