Le président Vladimir Poutine a appelé mercredi au «bon sens» dans la crise créée par l'empoisonnement de l'ex-espion russe Sergueï Skripal, dont s'accusent mutuellement Londres et Moscou, qui se sont retrouvés face à face à une réunion internationale sur les armes chimiques à La Haye.

Les 41 États membres du conseil exécutif de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) étaient réunis à huis clos pour discuter de cette affaire, à l'origine des pires tensions Est-Ouest depuis la Guerre froide et d'une vague sans précédent d'expulsions croisées de diplomates.

«Nous attendons que le bon sens l'emporte et ce qu'on arrête d'infliger cet immense préjudice aux relations internationales», a plaidé Vladimir Poutine à l'issue d'un sommet à Ankara sur la Syrie avec ses homologues turc et iranien.

M. Poutine, qui dénonce une «campagne antirusse», avait déjà indiqué espérer que la réunion de l'OIAC mette un «point final» à cette confrontation.

La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a pour sa part précisé que Moscou avait demandé cette rencontre face aux «actions provocatrices de la Grande-Bretagne», qui «sur la base de ses accusations a provoqué le plus grand scandale diplomatique de l'Histoire récente».

Elle a assuré que Moscou était néanmoins prêt à coopérer avec Londres dans l'enquête sur cet empoisonnement, «tant au niveau bilatéral que dans le cadre de l'OIAC».

Quelques jours après l'empoisonnement de Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia, survenu le 4 mars à Salisbury, la cheffe du gouvernement britannique Theresa May avait mis en cause Moscou, estimant qu'il s'agissait de «la seule explication plausible».

La Russie, qui clame son innocence depuis le début, s'estime renforcée par les déclarations du laboratoire britannique ayant analysé la substance utilisée contre l'ex-espion. Ce dernier l'a identifié comme étant du Novitchok, un agent innervant de type militaire dont l'origine serait un laboratoire soviétique, mais a reconnu ne pas avoir de preuve qu'elle provenait de Russie.

L'OIAC avait été sollicitée par Londres pour «vérifier l'analyse du gouvernement» britannique. Ses experts se sont rendus au Royaume-Uni pour obtenir des échantillons de la substance utilisée lors de l'empoisonnement, qui doivent être analysés dans des laboratoires internationaux indépendants. Les résultats de ces analyses sont attendus en début de semaine prochaine.

Alors que l'ambiance se faisait de plus en plus lourde derrière les murs de l'OIAC, le chef du renseignement extérieur russe Sergueï Narychkine a haussé le ton, affirmant que l'affaire Skripal avait été «grossièrement fabriquée par les services spéciaux de Grande-Bretagne et des États-Unis».

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov avait déjà affirmé lundi que l'empoisonnement «pouvait être dans l'intérêt du gouvernement britannique» pour détourner du Brexit l'attention de la population.

«Impliquer la Russie»

Une source diplomatique a déclaré à l'AFP sous couvert de l'anonymat que la Russie avait présenté une motion demandant à l'OIAC «d'impliquer la Russie d'une manière ou d'une autre dans l'enquête».

La délégation britannique a qualifié de «perverse» la proposition russe d'une enquête conjointe, ajoutant qu'il s'agissait d'une «tactique de diversion».

Le chef du laboratoire chimique du ministère russe de la Défense, Igor Rybaltchenko, a affirmé lors de cette réunion qu'accuser la Russie était «incorrect et absurde», selon l'agence Interfax.

Il a assuré que «n'importe quel laboratoire moderne» pouvait produire le type de substance utilisé. «Il n'existe aucun marqueur unique qui permettrait de désigner un pays comme ayant préparé la substance utilisée», a-t-il assuré.

M. Poutine avait déjà relevé qu'une substance comme celle utilisée à Salisbury contre Sergueï Skripal pouvait être fabriquée «dans une vingtaine de pays du monde».

Le représentant de l'Union européenne lors de cette réunion, le Bulgare Krassimir Kostov, a pour sa part accusé la Russie d'être à l'origine d'une «flot d'insinuations visant plusieurs membres de l'UE», ce qu'il a qualifié de «totalement inacceptable».

Sergueï Skripal, 66 ans, et sa fille Ioulia, 33 ans, étaient toujours hospitalisés mardi. L'état de santé de cette dernière «s'améliore rapidement», elle «n'est plus dans un état critique», contrairement à son père, qui est dans un état «stable», selon l'hôpital.