Le président russe Vladimir Poutine a lancé mardi avec son hôte Recep Tayyip Erdogan un méga-projet nucléaire et annoncé une accélération de la livraison de missiles S-400 à la Turquie, symboles de leur rapprochement, à la veille de discussions cruciales sur la Syrie.

«Nous assistons à un moment vraiment historique», a déclaré le chef de l'État turc lors d'une cérémonie à Ankara avec M. Poutine pour donner le coup d'envoi de la construction de la centrale nucléaire d'Akkuyu, dans la région de Mersin, par le géant russe Rosatom.

Les deux dirigeants, qui ont noué depuis plus d'un an une relation étroite, se sont ensuite isolés pour un entretien en tête-à-tête, à la veille d'un sommet trilatéral sur la Syrie à Ankara, où ils seront rejoints par le président iranien Hassan Rohani.

Après les discussions, M. Poutine a affirmé que son pays allait «accélérer» la livraison des systèmes russes de défense anti-aérienne S-400 commandés par la Turquie.

«Nous avons discuté la réalisation du contrat pour la livraison des S-400. Et nous avons pris la décision d'accélérer la livraison de ces systèmes de défense», a déclaré le chef de l'État russe lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue turc.

M. Erdogan a défendu l'acquisition de ces missiles annoncée en septembre, une décision qui a suscité réserves et critiques parmi les alliés de la Turquie au sein de l'OTAN en raison de son incompatibilité avec les systèmes de défense de l'Alliance.

«A propos des S-400, c'est une décision qui appartient à la Turquie [...] Nous avons conclu un accord au sujet des S-400, nous avons fermé ce dossier, c'est une affaire terminée», a-t-il dit.

Confronté à une grave crise diplomatique avec l'Occident après l'empoisonnement en Grande-Bretagne de l'ex-agent double Sergueï Skripal, que Londres impute à Moscou, M. Poutine a été accueilli en grande pompe par M. Erdogan.

M. Poutine a dit lors de la conférence de presse conjointe espérer que la réunion de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), prévue mercredi, pourra mettre un «point final» à l'enquête sur cette affaire.

Le chef de l'État russe, qui effectue en Turquie son premier déplacement à l'étranger depuis sa réélection pour un quatrième mandat de président le 18 mars, est arrivé au palais présidentiel turc escorté par des gardes à cheval.

La construction de la centrale d'Akkuyu, estimée à quelque 20 milliards de dollars et dont le premier réacteur devrait être opérationnel en 2023, est le symbole de ces relations florissantes.

«Il est difficile de surestimer l'importance de ce projet innovant d'ampleur», a déclaré M. Poutine lors de la cérémonie à Ankara. «Nous ferons tout pour assister ensemble en 2023 à la cérémonie du lancement de la nouvelle centrale», a-t-il ajouté.

«Étroite coopération»

D'après M. Erdogan, cette centrale doit permettre à terme de répondre à 10% de la demande en électricité de la Turquie, pays fortement dépendant de l'importation d'hydrocarbures pour satisfaire son appétit énergétique.

Ce projet, plusieurs fois retardé, avait notamment connu un coup d'arrêt lors d'une grave crise diplomatique provoquée par la destruction par l'aviation turque d'un bombardier russe à la frontière syrienne en novembre 2015.

Mais leurs relations se sont depuis réchauffées. La Turquie et la Russie ont notamment mis de côté leurs différends pour travailler ensemble sur la Syrie, où Moscou soutient le régime de Bachar al-Assad, alors qu'Ankara appuie l'opposition.

«Nous coopérons étroitement avec la Russie pour mettre rapidement fin au terrorisme et aux affrontements en Syrie», a déclaré mardi M. Erdogan qui s'est dit «déterminé à poursuivre et renforcer davantage, chaque jour», ce partenariat entre Ankara et Moscou. M. Poutine a lui aussi répété que cette coopération en Syrie «se poursuivra».

Mercredi, les deux présidents se réuniront avec M. Rohani, arrivé mardi soir dans la capitale turque, pour un sommet trilatéral consacré à la Syrie, où Moscou, Ankara et Téhéran se sont imposés comme les maîtres du jeu.

«Une allégation»

MM. Poutine et Erdogan, deux dirigeants à poigne en délicatesse avec l'Occident, ont noué depuis plus d'un an de solides relations bilatérales. L'an dernier, ils se sont rencontrés à huit reprises, sans compter de nombreux entretiens téléphoniques.

Signe de ce rapprochement observé d'un mauvais oeil par les partenaires de la Turquie au sein de l'OTAN, Ankara s'est tenu à l'écart de l'expulsion coordonnée par plusieurs alliés du Royaume-Uni de diplomates russes, en réaction à l'empoisonnement de l'ex-espion Skripal.

À ce sujet, M. Erdogan avait notamment déclaré qu'il refusait d'agir contre la Russie «sur la base d'une allégation».

Les deux pays ont aussi accru leur coopération sur le plan économique et énergétique, comme l'illustre le chantier du gazoduc TurkStream qui permettra à Moscou de contourner l'Ukraine, via la mer Noire et la Turquie, pour exporter son gaz vers l'Europe.