La prolongation de l'état d'urgence en Turquie a conduit à de « graves » violations des droits de « centaines de milliers de personnes », a accusé mardi un rapport de l'ONU, qualifié par Ankara de « biaisé » et « inacceptable ».

Dans un document de 29 pages couvrant toute l'année 2017, le Haut-Commissariat aux droits de l'Homme a souligné que « les prolongations régulières de l'état d'urgence en Turquie ont conduit à de graves violations des droits de l'homme de centaines de milliers de personnes ».

Parmi ces violations figurent la torture et autres mauvais traitements, les détentions arbitraires, la privation arbitraire du droit au travail et de la liberté de mouvement, ou encore les atteintes à la liberté d'association et d'expression, selon le rapport qui dénonce « la détérioration de la situation des droits de l'Homme et l'érosion de l'état de droit en Turquie » et réclame la fin de l'état d'urgence.

La réaction d'Ankara n'a pas tardé.

Ce rapport « contient des informations déformées, baisées et fausses (et) est inacceptable pour la Turquie », a affirmé le ministère turc des Affaires étrangères dans un communiqué.

L'état d'urgence a été instauré en Turquie quelques jours après une tentative de coup d'État le 15 juillet 2016, imputée par les autorités au prédicateur Fethullah Gülen, installé aux États-Unis et qui nie toute implication.

« Les chiffres sont stupéfiants : près de 160 000 personnes arrêtées pendant 18 mois d'état d'urgence ; 152 000 fonctionnaires renvoyés, dont beaucoup de manière totalement arbitraire ; des enseignants, juges et avocats renvoyés ou poursuivis ; des journalistes arrêtés, des médias fermés et des sites web bloqués », a déclaré le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Zeid Ra'ad Al Hussein, cité dans un communiqué.

« Il est clair que les états d'urgence successifs déclarés en Turquie ont été utilisés pour restreindre sévèrement et arbitrairement les droits humains d'un très grand nombre de personnes », a-t-il ajouté.

Le Haut-Commissariat reconnaît « les défis complexes auxquels la Turquie a dû faire face pour répondre à la tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 et à un certain nombre d'attentats terroristes ».

Mais le rapport indique également que « le simple nombre » et « la fréquence » des décrets d'urgence, ainsi que « l'absence de lien » entre ces décrets et la « menace nationale semblent pointer (...) une utilisation des pouvoirs d'urgence pour étouffer toute forme de critique ou de dissidence à l'égard du gouvernement ».

« Simulacre de noyade »

« L'une des conclusions les plus alarmantes du rapport », a relevé M. Zeid, est « la manière dont les autorités turques auraient détenu une centaine de femmes enceintes ou venant d'accoucher, principalement au motif qu'elles étaient "associées" à leur mari, qui sont soupçonnés d'être liés à des organisations terroristes ».

Selon le Haut-Commissaire, certaines de ces femmes « ont été détenues avec leurs enfants et d'autres ont été violemment séparées d'eux ». « C'est tout simplement scandaleux, tout à fait cruel, et cela ne peut certainement pas avoir quoi que ce soit à voir avec l'amélioration de la sécurité du pays », a-t-il asséné.

Le rapport dénonce aussi la détention d'environ 300 journalistes, les accusations de fermeture de plus de 100 000 sites internet l'an dernier.

Il documente également le recours à la torture et aux mauvais traitements en détention, y compris les passages à tabac, les agressions sexuelles, les chocs électriques et le simulacre de noyade par la police, la gendarmerie, la police militaire et les forces de sécurité.

L'ONU note par ailleurs les allégations continues de violations des droits de l'Homme dans le sud-est de la Turquie, région en majorité peuplée de Kurdes.

Dans un rapport publié il y a un an, le Haut-Commissaire avait dénoncé les « allégations de destructions massives, de meurtres et de nombreuses autres graves violations des droits de l'Homme commises entre juillet 2015 et décembre 2016 dans le sud-est de la Turquie, au cours des opérations de sécurité gouvernementales ».