La police slovaque a relâché samedi sept Italiens interpellés après le meurtre du journaliste Jan Kuciak, qui enquêtait sur des faits de corruption présumée en lien avec la mafia italienne, peu avant l'inhumation du reporter en présence de centaines de personnes.

Cet assassinat a relancé le débat sur la liberté de la presse et la corruption, tant en Slovaquie qu'en Europe, d'autant plus qu'il intervient quelques mois après l'assassinat à Malte, en octobre 2017, de la journaliste Daphne Caruana Galizia, qui avait dénoncé la corruption sur cette île méditerranéenne.

Samedi matin, la police slovaque a libéré sept Italiens interpellés deux jours plus tôt à Michalovce, dans l'est du pays.

« Dans les délais légaux [48 heures] mis à sa disposition, l'enquêteur a vérifié les faits nécessaires pour porter [éventuellement] des accusations. Au bout de 48 heures, les détenus ont été libérés », a annoncé samedi la police dans un communiqué, sans d'autres détails.

Selon les médias slovaques, parmi eux figuraient l'homme d'affaires Antonino Vadala et plusieurs membres de sa famille, que Jan Kuciak soupçonnait de liens avec la mafia calabraise, la Ndrangheta, et de contacts avec le gouvernement slovaque.

Des procureurs italiens n'ont pas exclu que la Ndrangheta puisse être derrière le meurtre du journaliste et de sa fiancée, tous les deux âgés de 27 ans. Les corps des deux victimes, tuées par balle, ont été découverts dimanche dans leur maison à Velka Maca.

« Attaque contre la liberté »

Le journaliste a été assassiné alors qu'il s'apprêtait à publier un article sur des liens présumés entre la mafia et le gouvernement slovaque.

Au cours des obsèques à Stiavnik, dans le nord du pays, l'archevêque de Bratislava, Stanislav Zvolensky, a dénoncé une attaque contre la liberté du pays.

« Si le meurtrier a pensé qu'il a pu réduire Jan au silence il a eu tort. Il a fait l'opposé. Une attaque contre un journaliste est aussi une attaque contre la liberté de notre pays, nous ne devons pas le permettre », a déclaré l'archevêque.

Les deux fiancés, qui devaient se marier en mai, ont été inhumés dans leurs costumes de noces. Les obsèques de Martina Kusnirova ont eu lieu vendredi à Gregorovce, également en présence de centaines de personnes.

Vendredi soir, des milliers de personnes, dont 25 000 à Bratislava, ont participé à des manifestations anticorruption, organisées en Slovaquie et à l'étranger.

Le chef du gouvernement slovaque Robert Fico a accusé l'opposition d'instrumentaliser ce meurtre comme un « outil politique pour faire sortir les gens dans la rue ».

« Hyènes idiotes » 

Les manifestations ont fait écho à une vague de rassemblements l'an dernier appelant à la démission de hauts fonctionnaires, critiqués alors pour leur lenteur à combattre la corruption.

Le ministre de l'Intérieur Robert Kalinak a indiqué sur Facebook que la police italienne, Europol, le FBI et Scotland Yard avaient proposé de donner un coup de main aux enquêteurs slovaques.

Deux proches collaborateurs du premier ministre ont quitté leur poste après la publication posthume de l'article de M. Kuciak : sa conseillère Maria Troskova et le responsable du conseil de Sécurité nationale Viliam Jasan, tout en niant leur implication dans l'affaire. Le ministre de la Culture a quant à lui démissionné en signe de protestation contre le meurtre.

Le parti Most Hid, membre de la coalition tripartite de Robert Fico, a de son côté demandé la démission du ministre de l'Intérieur, ce que ce dernier a exclu samedi. Most Hid a donc annoncé qu'il décidera le 12 mars de quitter ou non la coalition.

L'ONG française Reporters sans frontières (RSF) a demandé aux responsables politiques européens de s'abstenir de saper la sécurité des journalistes.

« Les leaders européens ont la responsabilité de défendre le journalisme et non pas de l'affaiblir », a déclaré à l'AFP Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF, à l'issue d'une rencontre avec Robert Fico.

Le premier ministre slovaque avait par le passé qualifié les journalistes de « simples hyènes idiotes » ou « sales prostituées anti-Slovaques ». Après le meurtre de Jan Kuciak, il a cependant rencontré les responsables des principaux médias pour leur assurer que « la protection de la liberté d'expression et la sécurité des journalistes » étaient « une priorité » pour son gouvernement.

PHOTO Bundas EngleR, AP

Le premier ministre slovaque Robert Fico