Les nationalistes corses ont remporté une large victoire dimanche lors d'un scrutin local qui leur permet de mettre la pression sur Paris pour réclamer davantage d'autonomie pour cette île française de la Méditerranée.

Selon les résultats définitifs, les nationalistes, réunis au sein de la liste Pè a Corsica (Pour la Corse), ont enregistré un score historique, avec 56,5% des suffrages exprimés, qui va leur permettre d'obtenir une large majorité des 63 sièges que comptera la nouvelle assemblée territoriale. Ils occuperont également les 11 sièges du conseil exécutif de l'Île de Beauté, son «mini-gouvernement».

Parmi les autres listes, largement devancées, celle du parti présidentiel d'Emmanuel Macron (12,67%).

Seul bémol, un électeur sur deux seulement s'est déplacé pour ce scrutin, avec une participation de 52,6%, contre 67% en décembre 2015.

«Paris a aujourd'hui à prendre la mesure de ce qui se passe en Corse, qui est quelque chose de profond», a cependant réagi le leader autonomiste Gilles Simeoni.

Le premier ministre Edouard Philippe l'a appelé dans la soirée pour lui adresser des «félicitations républicaines» et lui signifier sa «disponibilité» pour le recevoir rapidement à Paris, ont indiqué ses services.

M. Simeoni a par la suite indiqué devant des journalistes que son échange avec le Premier ministre était allé plus loin.

«Je lui ai dit qu'au-delà de la politesse protocolaire, nous attendions et espérions un véritable dialogue avec l'État et que jamais les conditions n'avaient été aussi favorables pour que la question corse (...) se règle de façon apaisée et durable par une solution politique», a rapporté M. Simeoni.

L'allié indépendantiste de M. Simeoni, Jean-Guy Talamoni, président de l'assemblée de Corse dans l'ancienne mandature, a déclaré de son côté qu'il demanderait «à Paris d'ouvrir très rapidement des négociations».

«Si Paris manifeste à nouveau un véritable déni de démocratie, nous seront contraints de susciter des manifestations populaires en Corse bien sûr mais également de faire le tour des capitales européennes», a averti celui que certains surnomment le «Puigdemont corse» du nom du leader séparatiste catalan.

«C'est 40 ans de lutte qui triomphent ce soir», se réjouissait Anne-Marie Mattei qui, avec des centaines d'autres partisans de Pè a Corsica, célébrait la victoire dimanche soir devant la mairie de Bastia.

Pour un statut d'autonomie

Si la question de l'indépendance de la Corse n'est pas à l'ordre du jour, les «natios», au pouvoir sur l'île natale de Napoléon depuis 2015, espèrent bien pouvoir avancer sur leurs trois principales revendications: amnistie pour les «prisonniers politiques», co-officialité de la langue corse et statut de résident pour combattre la spéculation immobilière.

Il s'agit d'avoir «la dévolution d'un véritable pouvoir législatif et fiscal, reconnu aussi bien par l'État que par l'Union européenne», expliquent-ils.

Ces questions sont éminemment sensibles en Corse, île qui a été pendant des décennies le théâtre de violences avec plus de 4500 attentats revendiqués par les militants du Front de libération nationale de la Corse (FLNC). Leur décision, en 2014, de déposer les armes a ramené le calme sur l'île.

L'opinion publique sur cette île de 330 000 habitants, qui vit beaucoup du tourisme saisonnier et dépend largement des subsides de l'Etat, est majoritairement défavorable à l'indépendance, et même les plus optimistes des séparatistes ne rêvent pas d'un éventuel référendum d'autodétermination avant quinze ans.

Mais les «natios», qui visent l'obtention d'un véritable statut d'autonomie dans les trois ans et sa mise en oeuvre effective dans les 10 ans, attendent désormais de pied ferme la réponse de l'État français.

«L'indépendantisme est dans l'imaginaire collectif, mais la volonté actuelle des Corses est d'avoir davantage d'autonomie», tranche Thierry Dominici, spécialiste de la Corse à l'Université de Bordeaux.

«L'État a tout à gagner de répondre à au moins une des trois demandes. S'il ne fait rien, tous les insulaires seront dans la rue et les nationalistes n'auront même pas besoin de le demander», prévient l'universitaire.