Un budget 2018 toujours en suspens, une réforme constitutionnelle dans les limbes... La crise en Catalogne, loin d'être un simple problème territorial, paralyse la politique espagnole dans son ensemble.

Le bras de fer autour de l'indépendance est venu aggraver les problèmes du Parlement national, déjà profondément divisé: les partis, qui s'affrontent sur le thème de la Catalogne, ont autant de mal à se mettre d'accord sur d'autres sujets.

«Nous allons assister à une législature exceptionnellement peu productive», prédit Jose Fernandez Albertos, chercheur du Conseil supérieur d'investigations scientifiques (CSIC).

Depuis le début de la législation actuelle en novembre 2016, seules neuf lois ordinaires ont été votées, contre 48 en 2015 et 36 en 2014.

Premier point de blocage, le budget de l'État pour 2018.

Le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, qui n'a pas la majorité absolue à la chambre basse, ne peut faire passer ce texte qu'avec le soutien des cinq députés du Parti nationaliste basque (PNV).

Mais alors qu'ils avaient soutenu Mariano Rajoy l'an dernier, les Basques refusent de voter le budget tant que la Catalogne restera sous la tutelle de Madrid imposée après la proclamation d'indépendance du parlement régional le 27 octobre.

Casse-tête territorial

L'ombre de la crise catalane plane aussi sur une réforme territoriale réclamée de toutes parts, mais à la gestation difficile.

Les 17 régions d'Espagne jouissent déjà d'une généreuse autonomie, mais plusieurs d'entre elles, outre la Catalogne, s'estiment lésées et demandent un financement plus adapté à leurs besoins.

La solution passe soit par une amélioration du système existant, soit par une ambitieuse modification de la Constitution de 1978.

Les socialistes, conduits par Pedro Sanchez, ont arraché au PP la promesse d'une réforme constitutionnelle, en échange de leur appui à la mise sous tutelle de la Catalogne.

Mais depuis, Mariano Rajoy traîne les pieds. «On ne peut pas parler de réformer la Constitution sans savoir auparavant exactement quelle réforme il faut faire», a-t-il expliqué la semaine dernière.

«Le problème, c'est que avons un gouvernement dépourvu de toute initiative politique» et «installé dans la négligence», a critiqué Pedro Sanchez la semaine dernière.

Pour Jose Fernandez Albertos, «il n'y a plus beaucoup d'espace désormais pour un accord sur le contenu d'une réforme constitutionnelle».

Il serait donc plus réaliste de se concentrer «sur des solutions n'impliquant pas une telle réforme», et de légiférer au jour le jour. Il prend pour exemple une initiative des syndicats, soutenue par plus de 700 000 signataires, pour instaurer un revenu minimum garanti.

Un gouvernement faible

Mais là aussi, difficile de trouver un terrain d'entente.

Le gouvernement, qui a promis à Bruxelles de ramener son déficit public sous les 3% en 2018, a mis son veto à des dizaines d'initiatives de l'opposition, arguant du fait qu'elles impliquaient une hausse des dépenses publiques.

Avec à peine 137 des 350 députés de la chambre basse, Mariano Rajoy dirige le gouvernement le plus minoritaire depuis 40 ans, après avoir profité d'une majorité absolue entre 2011 et 2015.

Son gouvernement a été formé après dix mois d'intérim, en raison du blocage persistant entre les quatre principaux partis: le PP, les socialistes, la gauche radicale de Podemos et les centristes libéraux de Ciudadanos.

Antonio Torres del Moral, professeur de droit constitutionnel, explique aussi la paralysie législative par la personnalité de Mariano Rajoy.

«Il est de ces politiques qui pensent que le temps règle beaucoup de choses, il préfère donc ne pas se risquer à prendre des initiatives législatives (...) et essaie de réunir un consensus ou de les ajourner.»

Le défi indépendantiste catalan a aggravé la situation, transformant les sessions hebdomadaires de questions au gouvernement en combats de coqs.

«L'Espagne a besoin aujourd'hui de plus de cohésion sociale et territoriale, l'Espagne a besoin d'un projet d'avenir, et vous ne le lui offrez pas», a lancé la semaine dernière la députée socialiste Meritxell Batet, interpellant le gouvernement dans l'hémicycle.