Au lendemain du drame inédit qui s'est joué mercredi devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye, l'heure est à l'enquête pour déterminer comment un accusé, le Croate de Bosnie Slobodan Praljak, a pu se suicider devant ses juges.

Une autopsie rapide de Slobodan Praljak, 72 ans, est traitée comme la «plus haute priorité» pour les enquêteurs néerlandais, a déclaré jeudi à l'AFP Frans Zonneveld, porte-parole du parquet de La Haye. «Un examen toxicologique du corps» sera également réalisé «à court terme», a ajouté Marilyn Fikenscher, procureure au parquet de La Haye.

Jugée «exceptionnelle» concernant «quelque chose d'inédit», «l'enquête s'oriente sur l'aide au suicide et la violation» de la réglementation sur les substances médicales, avait indiqué mercredi soir.

Mais déjà, un test provisoire a révélé la présence d'une «substance chimique qui peut entraîner la mort» dans la fiole que Praljak a sorti de sa poche avant d'en boire le contenu d'une seule gorgée. Il est ensuite décédé dans un hôpital de La Haye.

Avant de commettre cet acte, il avait reçu la confirmation de sa condamnation à 20 ans de prison pour crimes de guerre. Debout, face à ses juges, il avait déclaré d'une voix forte : «Slobodan Praljak n'est pas un criminel de guerre, je rejette avec mépris votre verdict», puis avait avalé le contenu de sa fiole.

C'est sur cette image dramatique que le TPIY va fermer ses portes après presque un quart de siècle consacré à juger ceux qui ont commis les pires atrocités en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Et le rideau s'est baissé dans la salle d'audience, devenue «scène de crime».

Contrôles stricts

À l'heure actuelle, on ignore comment l'accusé a pu se retrouver en possession de cette fiole contenant un liquide marron.

Se l'est-il procurée au centre de détention situé dans le quartier de Scheveningen, à La Haye, un ensemble de bâtiments pourtant hautement surveillés ? Où l'a-t-il obtenue dans l'enceinte du tribunal ?

Le règlement intérieur du quartier pénitentiaire des Nations unies stipule que toute personne «fera l'objet d'un contrôle de sécurité à l'entrée du complexe», à savoir une vérification d'identité, le passage par les portiques de détection et, si nécessaire, la fouille des vêtements.

Par ailleurs, tout objet présenté ou envoyé au centre doit être remis, inspecté, ouvert et/ou examiné aux rayons X, avant d'être autorisé à l'intérieur du centre.

Mais selon le quotidien néerlandais de référence NRC, «beaucoup de suspects sont, exactement comme Praljak, d'un âge avancé et souffrant de toutes sortes de maux et de maladies. Ils sont donc souvent sous surveillance médicale» de leur médecin personnel.

Ainsi, «qu'il ait pris avec lui ses médicaments aux audiences n'est pas non plus inhabituel», poursuit le journal.

«Pour que le monde regarde»

L'acte dramatique de Slobodan Praljak s'est produit lors du prononcé du jugement en appel contre six anciens dirigeants et chefs militaires des Croates de Bosnie pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité durant le conflit croato-musulman (1993-1994) survenu dans le cadre de la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995).

«Ces hommes savent comment faire pour manier le pouvoir et pour que le monde regarde», analyse Frederiek de Vlaming, criminologue spécialisée en droit pénal international de l'Université d'Amsterdam, citée par le journal De Volkskrant. Le suicide public de Slobodan Praljak «est une forme de protestation que nous n'avons jamais vue auparavant».

«Cela indique comment les suspects dans la région voient le tribunal», estime-t-elle, soulignant que le verdict est «plus important» que l'événement dramatique.

Pour de nombreux Croates, Slobodan Praljak et les autres restent des héros et le suicide de Praljak a laissé la Croatie en état de choc.

Son suicide «illustre surtout la profonde injustice morale envers les six Croates de Bosnie» condamnés mercredi par le TPIY, a déclaré le premier ministre croate, Andrej Plenkovic.

Des habitants croates de la ville de Mostar, dans le sud de la Bosnie-Herzégovine, ont allumé mercredi soir des cierges en hommage à Slobodan Praljak.

Mais la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarovic a exhorté jeudi les Croates à «avoir la force de reconnaître que certains compatriotes en Bosnie avaient commis des crimes et devaient en être tenus responsables».