Les rues de Varsovie, en Pologne, seront le théâtre samedi de ce que certains affirment être la plus grande manifestation d'extrême-droite du monde.

La manifestation du 11 novembre attire des dizaines de milliers de participants depuis plusieurs années. Des extrémistes venus de Suède, de Hongrie, de Slovaquie et d'ailleurs gonflent les rangs des nationalistes polonais pour un témoignage public de xénophobie et de suprématie blanche.

L'édition de cette année est organisée sous le slogan « Nous voulons Dieu », des paroles tirées d'une ancienne chanson polonaise citée par le président américain Donald Trump en juillet, lors d'une visite à Varsovie. M. Trump avait à ce moment félicité la Pologne pour sa défense, selon lui, de la civilisation occidentale.

Rafal Pankowski, le directeur de l'organisation anti-extrémisme Plus jamais, prévient toutefois qu'en dépit de la référence à Dieu, la manifestation n'est pas inspirée par des croyances religieuses. Des « néo-païens » issus de l'extrême-droite défileront aux côtés de catholiques romains.

« Nous savons que Donald Trump n'est pas l'homme le plus religieux, et je pense que la plupart des organisateurs ne sont pas eux non plus très religieux, a dit M. Pankowski. Mais ils utilisent la chrétienté pour définir leur identité, ce qui aujourd'hui veut dire être essentiellement contre l'islam. »

On compte parmi les organisateurs des groupes radicaux dont les racines remontent à des groupes antisémites formés avant la Seconde Guerre mondiale.

La poussée du néo-fascisme en Europe centrale est pour le moins étonnante. Une région jadis emprisonnée derrière le rideau de fer profite d'une croissance économique robuste depuis que la Pologne, la Hongrie et les autres ont rompu leurs chaînes communistes au profit du capitalisme, de l'Union européenne et de l'OTAN.

Les réfugiés et migrants musulmans arrivés en Europe depuis 2015 évitent ce coin du continent et vont plutôt s'installer dans des pays riches comme l'Allemagne. Le sentiment anti-immigrants y demeure pourtant vigoureux.

Le politologue Miroslav Mares, un expert de l'extrémisme à l'université tchèque de Masaryk, explique que les Européens du centre qui entendent parler des attaques extrémistes en France, en Allemagne et au Royaume-Uni craignent d'être engloutis par « le chaos et la guerre qui règnent à l'extérieur de leurs frontières ».

Mais comme plusieurs autres à l'époque de la mondialisation, des habitants de la région estiment ne pas avoir profité de l'amélioration de l'économie. Les salaires demeurent inférieurs à ceux offerts en Europe de l'Ouest et les inégalités se sont creusées depuis la fin du communisme.

« Si on regarde la Slovaquie, la situation était bien pire il y a 25 ans. L'inflation était très élevée et le chômage dépassait 20 %, mais aucun parti fasciste ne siégeait au parlement, explique Grigorji Mesezkinov, le président d'un groupe de réflexion slovaque, l'Institut des affaires publiques. Aujourd'hui, l'économie fonctionne bien, l'inflation est basse, le chômage est en déclin, nous sommes membres de l'UE et de l'OTAN... Et pourtant il y a des fascistes au parlement. »

M. Mares croit que la situation est alimentée par la tendance qu'ont les Tchèques et les autres à comparer leur sort à celui des Allemands et d'autres habitants de l'Ouest, plutôt que de se comparer à des pays plus pauvres comme le Bélarus et l'Ukraine, et d'être encouragés par les progrès réalisés.

Ces frustrations, ajoutées au ressentiment croissant face aux élites, ont propulsé les formations politiques d'extrême-droite lors d'élections récentes en Allemagne, en Autriche et en République tchèque. En Pologne et en Hongrie, des gouvernements de droite adoptent des politiques sévères contre les migrants et blanchissent leur histoire pour glorifier leur nation.

M. Mesezkinov pointe aussi du doigt la Russie, dont les positions contre l'UE et les États-Unis se propagent sur les réseaux sociaux.

On risque de devoir patienter plusieurs années avant d'assister à un renversement de la situation, prévient M. Pankowski. Des données sociologiques démontrent que les jeunes Polonais qui n'ont connu que la démocratie sont plus attirés par la xénophobie et le nationalisme d'extrême-droite que ne l'étaient leurs parents, et que paradoxalement « ils tournent le dos aux valeurs démocratiques ».

« Je pense que plusieurs d'entre eux vont garder ces idées d'extrême-droite pendant des décennies, dit M. Pankowski. La question ne disparaîtra pas. »