La Catalogne vivait lundi des heures d'extrême incertitude alors que son président séparatiste menace toujours de déclarer l'indépendance de la région dès mardi, après un week-end où des centaines de milliers d'Espagnols lui ont demandé de faire machine arrière.

«Nous avons ouvert la porte à la médiation (...) Les jours passent et si l'État espagnol ne répond pas de manière positive, nous, nous ferons ce que nous sommes venus faire», a dit Carles Puigdemont dans un entretien avec la télévision publique catalane diffusé dimanche soir.

Soufflant le chaud et le froid, le président indépendantiste catalan, soumis à une énorme pression, avait déjà auparavant promis d'aller de l'avant si le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy n'acceptait pas de négocier un référendum légal sur l'indépendance, ce que ce dernier n'envisage dans aucun cas de figure.

«Si l'indépendance est déclarée unilatéralement, le gouvernement ne restera pas sans réponse», a insisté lundi la vice-présidente du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, alors qu'on l'interrogeait sur l'application de l'article 155 de la Constitution, qui permettrait de retirer son autonomie à la région.

Mme Santamaria en a directement appelé aux «nombreux indépendantistes» qui «ont peur parce que ni les entreprises ni l'Europe ne les ont appuyées» pour faire infléchir M. Puigdemont, un «fanatique» qui cherche à «précipiter la Catalogne vers l'abîme».

«Arrêtez tout», a aussi lancé Pedro Sanchez, le leader de l'opposition socialiste, à l'adresse de M. Puigdemont lors d'une conférence de presse à Barcelone, ajoutant qu'il «soutiendra la réponse de l'Etat».

Alors que le monde des affaires catalan exprime sa très forte inquiétude, Nathalie Loiseau, ministre française chargée des Affaires européennes, a rappelé que «la première conséquence» d'une déclaration d'indépendance serait que la Catalogne sortirait «automatiquement de l'Union européenne».

L'Europe suit avec préoccupation l'évolution de la crise catalane. La chancelière allemande Angela Merkel s'est entretenue samedi au téléphone avec M. Rajoy et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, a indiqué le porte-parole du gouvernement allemand.

«Nous avons peur»

De la décision de Carles Puigdemont et des siens dépend le sort de 16 % de la population espagnole qui vit dans cette région du nord-est de l'Espagne, grande comme la Belgique, contribuant à hauteur de 19 % au PIB du pays.

L'élan séparatiste qui va crescendo depuis plusieurs années divise l'Espagne et la Catalogne elle-même.

«Prou! Recuperem el seny» («Assez! Retrouvons la raison»), ont clamé dimanche les opposants à cette sécession, qui représentent près de la moitié des quelque 7,5 millions d'habitants de la Catalogne.

Selon les organisateurs, ils étaient près d'un million et selon la police municipale, 350 000 dans les rues de Barcelone pour défendre «l'unité de l'Espagne» dans un climat de tension et d'angoisse extrêmes.

«Nous avons peur, nous voyons que ça va être la ruine pour la Catalogne et pour l'Espagne», a déploré auprès de l'AFP Mercedes Sanz Cortinas, 51 ans, mère au foyer venue manifester avec toute sa famille.

Le 1er octobre s'est tenu en Catalogne un référendum d'autodétermination interdit, marqué par des violences policières lorsque les forces de l'ordre dépêchées par Madrid ont tenté de l'empêcher dans une centaine de bureaux de vote.

Les scènes montrant des policiers matraquant des Catalans pacifiques ont choqué l'opinion.

Pression des milieux d'affaires

Les séparatistes catalans estiment avoir remporté ce scrutin boycotté par leurs opposants avec 90 % des voix et un taux de participation de 43 %. Assez, disent-ils, pour déclarer l'indépendance. Et tous s'attendent à ce que cette déclaration, si elle intervient, se produise lors d'une séance au parlement catalan où Carles Puigdemont doit s'exprimer mardi soir.

Une éventualité qui semble crédible aux yeux d'une quinzaine de grandes sociétés, dont deux grandes banques, CaixaBank et Banco de Sabadell, qui ont décidé de transférer leur siège social hors de Catalogne.

Les milieux d'affaires devaient continuer à accentuer la pression sur l'exécutif catalan lundi, et de nouvelles entreprises pourraient décider de faire leurs cartons, dont le groupe autoroutier Abertis qui réunissait son conseil d'administration lundi après-midi.

Si Carles Puigdemont va de l'avant, une suspension de l'autonomie de la Catalogne de la part de l'État pourrait à son tour entraîner des troubles dans la région.

«Ne poussez pas le pays vers le précipice», a imploré l'ancien ministre socialiste Josep Borrell, ex-président du Parlement européen, dans un discours de clôture de la grande manifestation de Barcelone.

Mais l'Assemblée nationale catalane, une des plus puissantes associations indépendantistes de Catalogne, a assuré dans une vidéo diffusée dimanche soir: «le mardi 10 octobre, déclarons l'indépendance».