La Commission européenne somme le gouvernement polonais de «mettre en suspens» ses nouvelles réformes controversées du système judiciaire, agitant la menace de sanctions sans précédent si Varsovie ne mettait pas fin aux «risques clairs» sur l'État de droit.

«Nous sommes désormais très proches de déclencher l'article 7 du traité de l'UE», synonyme de possibles sanctions comme la suspension des droits de vote de la Pologne au sein de l'Union, a averti le vice-président de la Commission, Frans Timmermans.

Après s'être déjà attaqués à la justice constitutionnelle, les conservateurs au pouvoir à Varsovie ont lancé une réforme plus globale du système judiciaire, dénoncée par l'opposition comme un «coup d'État rampant», et contre laquelle plusieurs milliers de personnes manifestent tous les jours depuis dimanche dans le pays.

L'exécutif européen a demandé «instamment aux autorités polonaises de mettre les nouvelles lois en suspens et de reprendre le dialogue engagé» pour «répondre aux graves inquiétudes» sur le respect de l'État de droit, à l'issue d'une réunion des commissaires mercredi à Bruxelles.

«Arme atomique»

Frans Timmermans a cité plusieurs textes litigieux, dont le projet de loi, en cours d'examen, accordant au ministre de la Justice une forte influence sur la Cour suprême.

Deux autres textes déjà adoptés la semaine dernière par le Parlement polonais, dominé par les conservateurs du parti Droit et Justice (PiS), suscitent l'inquiétude.

L'un porte sur le Conseil national de la magistrature et prévoit que ses membres seront désormais choisis par le Parlement. Un autre modifie le régime des tribunaux de droit commun, dont les présidents seront nommés par le ministre de la Justice.

Selon le président du PiS Jaroslaw Kaczynski, la réforme de la Justice dépend uniquement de l'État polonais.

«Les questions que nous traitons maintenant relèvent de la compétence exclusive de l'Etat, nous avons ici affaire à un abus, à une action à caractère politique», a-t-il déclaré, lors d'une interview à la télévision publique TVP info, commentant la déclaration de M. Timmermans.

Le ministère polonais des Affaires étrangères a, quant à lui, jugé cette déclaration «infondée et injustifiée», ainsi que «prématurée», compte tenu du processus législatif en cours.

Le ministère a également indiqué «qu'il n'y a avait pas de place ici pour «une mission personnelle» du vice-président de la Commission», autrement dit qu'il n'était pas invité en Pologne, selon un communiqué publié dans la soirée.

Le PiS, arrivé au pouvoir fin 2015, présente tous ces changements comme indispensables pour rationaliser le système judiciaire et combattre la corruption. Mais l'opposition y voit un affaiblissement de la séparation des pouvoirs et une tentative de verrouiller le pays.

Ces nouvelles réformes «ont gravement amplifié la menace contre l'État de droit» en Pologne, a déploré M. Timmermans, en rappelant que la Commission avait déjà lancé en 2016 une procédure inédite contre la Pologne après sa réforme du tribunal constitutionnel, qui avait suscité de vives condamnations.

C'est cette procédure toujours en cours, appelée «cadre pour l'État de droit», qui pourrait conduire en fin de course au déclenchement de l'article 7 du traité de l'UE, encore jamais utilisé.

Souvent décrit comme «l'arme atomique» dans la panoplie de mesures que peut prendre l'UE contre l'un de ses membres, cet article peut mener à une suspension du droit de vote au sein du Conseil de l'Union, l'instance regroupant les 28 pays européens.

«Message politique fort» 

Une fois déclenché, l'article 7 nécessiterait cependant une unanimité des autres États membres pour déboucher sur une suspension des droits de vote de la Pologne. Et la Hongrie, alliée de Varsovie, a déjà prévenu qu'elle s'y opposerait.

«Les nouvelles lois ne sont pas encore officiellement en vigueur. Nous ne pouvons pas encore prendre de décisions formelles, mais nous pouvons envoyer un message politique fort», a expliqué M. Timmermans.

Il a également évoqué la possibilité de lancer la semaine prochaine des «procédures d'infractions» qui peuvent mener à des sanctions financières.

«Le climat de ce débat aura un impact négatif sur les discussions budgétaires», a admis de son côté mercredi la commissaire européenne polonaise Elzbieta Bienkowska, interrogée sur les démêlés de son pays avec Bruxelles.

Elle faisait une référence voilée à l'idée qui circule à Bruxelles de conditionner à l'avenir l'accès aux «fonds de cohésion» au respect des valeurs et des décisions de l'UE. La Pologne est le principal bénéficiaire dans l'UE de ces fonds européens.

AFP

Frans Timmermans