Après des mois de campagne aux rebondissements multiples, dans un climat marqué par les récents attentats, les Français sont appelés aux urnes aujourd'hui, dimanche, pour le premier tour de l'élection présidentielle. Un exercice auquel se sont déjà prêtés en grand nombre hier leurs concitoyens expatriés à Montréal, qui ont  dû s'armer de patience. Retour sur les surprises de la campagne.

De mémoire de Français, on n'a jamais vu campagne présidentielle aussi bizarre. De révélation en rebondissement, rien, absolument rien, ne s'est passé comme prévu dans cette élection qui n'en finit plus de surprendre et dont le premier tour a lieu aujourd'hui sans que quiconque puisse en prévoir l'issue.

« Quasi dantesque ! lance avec amusement Céline Bracq, de l'institut de sondage Odoxa. On a été de surprise en surprise. Il y a eu très peu de moments de répit où les candidats ont pu se poser sur le fond. Oui, c'était complètement fou... »

Stupeur à droite



Dès la primaire de la droite, en novembre 2016, on pouvait pressentir les bouleversements. À la surprise générale, l'ancien premier ministre François Fillon, largué dans les sondages pendant des semaines, coiffe au poteau l'ancien président Nicolas Sarkozy, et surtout Alain Juppé, considéré depuis des mois comme le grand favori de la prochaine présidentielle. Les deux vaincus tirent leur révérence. Une page au parti Les Républicains est tournée.

Stupeur à gauche

Et puis, autre coup de théâtre. Après cinq ans de pouvoir, le président socialiste François Hollande annonce début décembre qu'il ne se représentera pas à l'élection présidentielle. Raison de son renoncement : une très grande impopularité au terme d'un mandat unanimement tenu pour décevant.

« C'est la première fois, dans toute l'histoire de la Ve République, qu'un président sortant refuse de briguer un second mandat et de défendre son bilan. Cela a créé une vraie dépression dans le débat », dit Jean Petaux, de Sciences Po Bordeaux.

Décontenancé et privé de sa figure de proue, le Parti socialiste (PS) tient sa primaire début janvier 2017, avec une demi-douzaine d'acteurs secondaires, exception faite de l'ancien premier ministre Manuel Valls, seule véritable vedette du lot.

Là encore, surprise : Valls le « social-libéral » est battu. Le vainqueur, l'inattendu Benoît Hamon, promet de ramener le PS à ses racines plus socialistes. Avec cette candidature plus radicale, beaucoup estiment que le PS vient de perdre son dernier espoir de prendre le pouvoir, ce qui se vérifie actuellement dans les sondages, Hamon raclant le fond à environ 7 % des intentions de vote.

Stupeur à droite, bis

Ce n'est pas tout. Fin janvier éclate l'affaire des « emplois fictifs » de François Fillon. L'hebdomadaire satirique Le canard enchaîné, réputé pour ses scoops juteux, révèle que la femme du candidat de la droite aurait touché près d'un million d'euros, pendant les années 80, 90 et 2000, pour de présumés « contrats fantômes » d'attachée parlementaire et de conseillère littéraire grassement payée.

Considéré jusque-là comme le grand favori et le « Monsieur Propre » de la politique française, Fillon part en vrille et chute dramatiquement dans les sondages, promettant, dans la foulée, qu'il tirera sa révérence s'il est mis en examen.

Et pourtant.

Alors qu'il est finalement inculpé pour détournements de fonds publics, en mars, Fillon refuse de se retirer et s'obstine à rester le candidat de la droite, même si cela devait entraîner la défaite de son parti à l'élection présidentielle, scénario jusque-là inimaginable.

Abandonné par une partie de sa famille politique et attaqué de tous côtés, Fillon se débat comme un diable dans l'eau médiatique, accusant la presse, le système judiciaire et même le président François Hollande - avec son prétendu « cabinet noir » - de mener une cabale au mépris de la démocratie. Notons que la patronne du Front national, Marine Le Pen, sera aussi inquiétée pour une affaire similaire au Parlement européen, mais qu'elle refusera de se présenter devant les juges en invoquant l'immunité parlementaire.

Surprise au centre

Au-dessus cette pagaille, enfin, ne surtout pas oublier Emmanuel Macron, véritable phénomène de la campagne.

Alors que les grands partis semblent se décomposer, ce jeune loup de 39 ans, ancien chouchou de François Hollande - dont il fut successivement conseiller et ministre de l'Économie -, crée la surprise en quittant le gouvernement, puis en fondant un nouveau mouvement politique (En marche !) qui se revendique à la fois « de droite et de gauche ».

Le buzz est immédiat. Et contre toute attente, la « bulle » n'éclate pas. Parce qu'il se positionne au centre, Macron rallie des appuis de tous bords, y compris celui de François Bayrou du parti MoDem, un vétéran qui fut par trois fois candidat centriste à la présidentielle. Cette alliance inattendue lui donne du poids et achève de l'imposer dans une élection qui pourrait bien lui sourire, si l'on en croit les derniers sondages qui le placent en tête. Dire qu'il y a cinq ans, personne ne le connaissait !

Du «dégagisme»

Pas de doute : rien, non, rien de rien, ne s'est passé comme prévu dans cette campagne hors normes.

« Tout ça est complètement original, résume Jean Petaux, encore étonné. Si je devais titrer d'un mot cette présidentielle ce serait : "Nouveauté". »

Plus tranchant, son collègue Thomas Guénolé parle plutôt des « élections du dégagisme », comme dans « dégage » ou, si vous préférez, « tasse-toi, mononcle ».

Grâce aux primaires, exercice encore relativement nouveau dans l'Hexagone, les électeurs ont en effet donné « un spectaculaire coup de balai » dans le paysage politique français, observe M. Guénolé, permettant un certain renouvellement du personnel politique.

L'ultime surprise

Faut-il s'attendre, ce soir, à un dernier coup théâtre ? L'ultime rebondissement serait que Marine Le Pen ne se qualifie pas pour le second tour, ce qui reste mathématiquement possible en dépit des pronostics.

Ce serait, pour Céline Bracq, le couronnement d'une campagne fort divertissante, pour ne pas dire rocambolesque.

« Finalement, ce qu'il y a de plus attendu, et depuis longtemps, c'est que Marine Le Pen passe au second tour, conclut-elle. Les Français se sont complètement faits à cette idée. Si bien que si l'inverse se produit, c'est ça qui sera la surprise. »

INTENTIONS DE VOTE

• Macron 24,5 %

• Le Pen 23 %

• Fillon 19 %

• Mélenchon 19 %

• Hamon 7,5 %

Source : Odoxa (seule enquête réalisée intégralement après l'attaque des Champs-Élysées)

photo ANNE-CHRISTINE POUJOULAT, agence france-presse

Marine Le Pen, candidate du Front National

photo Eric FEFERBERG, agence france-presse

Emmanuel Macron, candidat d'En Marche !