Le président turc Recep Tayyip Erdogan a tancé lundi les observateurs étrangers qui ont mis en doute l'équité du référendum sur ses pouvoirs, en célébrant sa victoire étriquée avec des milliers de partisans dans son palais à Ankara et en recevant les félicitations de la Maison-Blanche.

Au lendemain du référendum remporté d'une courte tête par M. Erdogan et contesté par l'opposition, une mission commune d'observateurs de l'OSCE et du Conseil de l'Europe a estimé que la campagne s'était déroulée dans des conditions inéquitables et que le scrutin n'avait pas été «à la hauteur des critères» européens.

En revanche, le président américain Donald Trump a téléphoné lundi soir à M. Erdogan pour le féliciter pour sa victoire, selon l'agence de presse étatique Anadolu.

Coutumier des tensions avec les Européens, M. Erdogan a lancé à un millier de ses partisans dans son palais: «Ils préparent un rapport à leur goût. (...) Déjà, restez à votre place!»

«Nous ne voyons et nous ne tenons pas compte de tout rapport que vous pourriez préparer», a-t-il ajouté.

Le chef de la diplomatie turque a pour sa part jugé les conclusions des observateurs «biaisées» et «inacceptables».

Les deux principaux partis d'opposition, le CHP (social-démocrate) et le HDP (prokurde), sont allés plus loin et ont dénoncé des «manipulations» pendant le scrutin, annonçant leur intention de demander le recomptage des voix.

En cause, la décision du Haut-Conseil électoral (YSK), de considérer comme valides les bulletins non marqués du sceau officiel des autorités électorales. L'opposition y a vu une manoeuvre rendant possibles des fraudes.

«Des modifications tardives dans la procédure de comptage (des voix) ont supprimé un important garde-fou» contre les fraudes, selon le rapport des observateurs.

Ton de défi envers l'Europe

M. Erdogan a aussi adopté un ton ferme à l'égard l'Union européenne, évoquant l'organisation d'un référendum pour décider de poursuivre ou non les négociations d'adhésion de la Turquie «Ils nous font attendre à la porte de l'Union européenne depuis 54 ans, n'est-ce pas ? (...) Nous pourrons aller au-devant de notre peuple, et nous obéirons à sa décision», a lancé M. Erdogan, sans avancer de date pour une éventuelle initiative de ce type.

Il avait lancé la veille l'idée d'un référendum sur le rétablissement de la peine de mort. Paris a averti lundi qu'une telle mesure provoquerait une «rupture» avec l'Europe.

Les relations entre Ankara et l'UE se sont fortement tendues ces derniers mois, le président turc accusant certains dirigeants européens d'avoir recours à des «pratiques nazies» après l'annulation de rassemblements pro-Erdogan, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas.

«L'Union européenne menace de geler les négociations. À vrai dire, ce n'est pas très important pour nous. Qu'ils nous communiquent leur décision !», a ajouté M. Erdogan.

Avant son discours au palais, M. Erdogan s'est offert une parade triomphale dans les rues de la capitale à son retour d'Istanbul.

Accueilli par une foule de partisans devant l'aéroport Esenboga, M. Erdogan s'est dirigé en cortège vers le palais présidentiel sous les vivats de partisans massés le long des routes.

Liens renoués avec son parti

Mais à Istanbul, au moins 2000 personnes sont descendues dans les rues lundi soir pour contester le résultat du référendum, scandant «côte à côte contre le fascisme».

Avec sa victoire, M. Erdogan, qui a échappé à une tentative de putsch le 15 juillet, pourrait en théorie rester à la tête de l'État jusqu'en 2029. Il a occupé le poste de chef du gouvernement entre 2003 et 2014, avant d'être élu président.

Faisant fi des contestations de l'opposition, le parti au pouvoir (AKP) a d'ores et déjà annoncé qu'il proposerait fin avril à M. Erdogan de retrouver sa place dans ses rangs, premier point de la réforme -il ne pouvait jusqu'alors pas rejoindre un parti-, dont la plupart des volets entreront en vigueur après les élections présidentielles et législatives de 2019.

Dans la soirée, le Conseil national de sécurité turc a approuvé la prolongation de l'état d'urgence, pour la troisième fois depuis son entrée en vigueur après le putsch avorté.

«Je ne pense pas qu'Erdogan va s'écarter de l'approche musclée de la politique qu'il a adoptée jusqu'à présent», estime Fadi Hakura, du centre de réflexion londonien Chatham House. «Il risque de mettre les bouchées doubles sur sa ligne très dure».

Mais pour Murat Yetkin, rédacteur en chef du quotidien anglophone Hurriyet Daily News, «cette victoire étriquée ne l'autorisera pas à agir aussi librement qu'il le pourrait avec une marge plus importante».