Sous un ciel lourd et gris, le marché de Noël de Breitscheidplatz ressemblait hier à un village de Noël abandonné, avec ses stands de Glühwein (vin chaud traditionnel allemand) et de sucreries aux volets fermés. Les visages des passants étaient tristes et défaits. Une nervosité austère planait dans l'air froid de Berlin, alors que toutes les questions restaient sans réponse quant à la responsabilité de l'attaque, que la chancelière Angela Merkel a qualifiée « d'acte de terrorisme ».

Les seules sources de lumière qui émanaient de ce lieu voué à la convivialité de Noël provenaient des nombreuses bougies déposées entre les bouquets de fleurs d'un mémorial installé par les Berlinois venus se recueillir sur les lieux.

« En arrivant en Allemagne, hier, j'ai dit à mon copain qu'au moins ici, on ne risquait pas d'être touchés par un attentat comme chez nous, en France. Mais non. On se rend compte que nulle part, on n'est en sécurité. Quand la nouvelle de l'attentat est arrivée hier soir, on était au resto : tout de suite, j'ai reçu des appels des amis, des grands-parents, de tout le monde qui était affolé », raconte Alice Raynaud, une touriste française qui, 24 heures après l'attaque, a choisi de déroger aux consignes de la chancelière Angela Markel, qui a invité ses concitoyens à rester à la maison. 

« Il faut continuer à vivre, à aimer, à célébrer. Il ne faut pas céder à la peur. » - Alice Raynaud

Le souvenir de l'attentat de Nice n'était évidemment pas loin, au lendemain du passage destructeur du camion-bélier qui a tué 12 personnes et fait 48 blessés. Six morts sont allemands, selon la police. L'identification des autres victimes se poursuit. Sur les 48 blessés, 14 étaient entre la vie et la mort hier soir, selon le ministère de l'Intérieur.

ZONE DE DEUIL

Toute la journée d'hier, le marché de Noël de Breitscheidplatz, coeur de la ville de Berlin où se trouve aussi la célèbre église du Souvenir, était une zone de deuil où la sécurité était lourdement renforcée. Vêtue de noir, la chancelière Angela Merkel est venue s'y recueillir en après-midi, manifestant son sentiment de sympathie pour les familles des victimes, dans un livre commémoratif. 

« Nous ne voulons pas vivre paralysés par la peur du mal. Même si c'est difficile en ce moment, nous allons trouver la force de vivre comme nous le souhaitons en Allemagne, c'est-à-dire libres, ensemble et ouverts », a déclaré la chancelière allemande en conférence de presse.

Liliana Nunez, employée d'un hôtel situé à proximité du marché de Noël, trouvait méconnaissable ce lieu de festivité qu'elle fréquente quotidiennement. 

« À l'hôtel, certains des clients ont été transportés à l'hôpital et nous avons passé la nuit dernière à répondre aux appels de personnes qui cherchaient à entrer en contact avec des membres de leurs familles. » - Liliana Nunez

Adolfus Levington, technicien retraité établi à Berlin depuis 1969, est venu déposer un bouquet de roses jaunes. Il avait prévu de faire un tour lundi au marché de Breitscheidplatz, mais a changé ses plans à la dernière minute. Au lendemain de l'attaque, il voulait affirmer son engagement avec la culture et l'identité allemandes. « Il était hors de question que je reste chez moi », a dit ce natif de l'île antillaise de Saint-Christophe, qui a été rassuré sur la sécurité de ses proches grâce à Facebook. « J'ai rapidement su que tout le monde allait bien. »

UNE TRADITION ANCESTRALE

Depuis le début du mois de décembre, la tradition ancestrale des marchés de Noël bat son plein, un peu partout en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Ces célébrations en plein air, très fréquentées par les familles pendant la période de l'avent, sont une kermesse chaleureuse qui rassemble des stands de vin chaud et de « flammkuchens », de décorations artisanales, des carrousels colorés et d'autres classiques qui contribuent à l'atmosphère des Fêtes.

Des travailleurs s'y arrêtent parfois pour acheter un cadeau de dernière minute, à l'heure du midi. Ils sont appréciés par des touristes du monde entier, et on y entend ainsi parler français, japonais, anglais, italien... À elle seule, la ville de Berlin compte 60 des 2500 marchés de Noël d'Allemagne.

Installés en plein air, souvent à proximité des églises et cathédrales, les marchés sont toutefois des cibles très vulnérables. En novembre dernier, les autorités américaines ont invité leurs citoyens à éviter les marchés de Noël d'Allemagne pendant la période des Fêtes, mais aucune mise en garde du genre n'a été diffusée en Allemagne. Alors qu'en France, pendant la période de l'avent, le marché de Strasbourg se métamorphose en véritable « capitale de Noël », les visiteurs doivent passer par l'un des 15 « points de contrôle » pour accéder aux marchés du centre-ville.

SILENCE FUNÈBRE

En fin de journée, le premier suspect, un demandeur d'asile d'origine pakistanaise, a été mis en liberté par la police. L'enquête n'a pas « à l'heure actuelle mis au jour d'éléments confirmant des soupçons » à son encontre, a expliqué le parquet fédéral. « Nous avons probablement un dangereux criminel dans la nature », a déclaré le patron de la police berlinoise, Karl Kandt.

Dans un silence funèbre, des passants endeuillés et des policiers armés affichaient un même air d'incertitude, et faisaient le pied de grue devant la Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche, où l'on a tenu une messe commémorative.

La chancelière Angela Merkel, le président allemand Joachim Gauck, le ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble, de même que quelques dizaines de politiciens, diplomates et leaders religieux ont pris part à cette cérémonie dont la captation audio a été diffusée dans les environs du marché de Noël, où les stands étaient tous illuminés d'une bougie rouge. 

En dépit du froid et de l'incertitude, des passants s'y sont rendus pour se recueillir, discuter avec leurs concitoyens, inscrire un message sur un des tableaux commémoratifs.

Sybille et Jorg Brinkop, un couple de septuagénaires qui habite le quartier de Charlottenburg-Wilmersdorf, étaient encore sous le choc d'avoir échappé de justesse à l'attaque de lundi soir. « Nous étions dans le marché, à peine une demi-heure plus tôt », évoque la dame allemande, des sanglots dans la voix. Le couple a pris connaissance des événements par un appel téléphonique de son fils, qui habite à Düsseldorf.

Alors que plusieurs voix reprochent à Angela Merkel sa stratégie de grande ouverture à l'endroit des réfugiés, le couple de Berlinois refuse de blâmer la chancelière. « Non, non. Elle a bien agi. »