Deux femmes yézidies d'Irak rescapées du groupe État islamique (EI) ont reçu jeudi le prix Sakharov « pour la liberté de l'esprit » décerné par le Parlement européen, qui a salué leur « courage » et leur « dignité ».

Nadia Murad et Lamia Haji Bachar sont devenues des figures de la défense de la communauté yézidie, minorité kurdophone persécutée par les djihadistes, après avoir vécu un cauchemar comme de nombreuses jeunes filles enlevées et forcées à l'esclavage sexuel par l'EI.

« Elles ont une histoire douloureuse, tragique », mais « elles avaient le sentiment de devoir survivre pour porter témoignage », a souligné le président du Parlement européen, Martin Schulz, en séance plénière à Strasbourg.

« Le courage de ces deux femmes, la dignité qu'elles représentent dépassent toutes les descriptions », a affirmé M. Schulz, estimant que l'attribution du prix montrait que « leur combat n'a pas été vain » et exhortant les Européens à se « battre contre la stratégie génocidaire de l'EI ».

Nadia Murad, 23 ans, nommée mi-septembre ambassadrice de l'ONU pour la dignité des victimes du trafic d'êtres humains, milite justement pour que les persécutions commises en 2014 contre les yézidis soient considérées comme un génocide.

« Le monde libre condamne l'inhumanité criminelle du groupe EI et honore ses victimes », a réagi la jeune femme dans un communiqué. « Cette récompense est un message puissant (...) à notre peuple et aux plus de 6700 femmes, filles et enfants devenus des victimes de l'esclavage et du trafic d'êtres humains de l'EI, disant que le génocide ne se répétera pas ».

« Au nom des victimes yézidies »

Lamia Haji Bachar, 18 ans seulement, s'est dit « très heureuse de ce prix parce que je l'ai remporté au nom des victimes yézidies », dans un message en kurde adressé à l'organisation humanitaire Air Bridge Iraq, qui s'occupe d'elle depuis son arrivée en Allemagne cette année, et qui a traduit son message.

Selon des experts de l'ONU, environ 3200 yézidis sont actuellement entre les mains de l'EI, la majorité en Syrie.

Le prix Sakharov « doit aussi servir à mettre un coup de projecteur sur la situation des minorités religieuses dans la région », a jugé le chef de file des eurodéputés socialistes, Gianni Pittella, dont le groupe avait proposé le nom des deux jeunes femmes, conjointement avec le groupe des libéraux.

Décerné chaque année par le Parlement européen depuis 1988, le prix Sakharov tire son nom du scientifique soviétique dissident Andreï Sakharov, décédé en 1989, et distingue des personnes qui se sont illustrées dans la défense des droits de l'homme.

Il avait été attribué l'an dernier au blogueur saoudien Raïf Badawi - dont la femme et les enfants sont réfugiés à Sherbrooke -, emprisonné pour « insulte à l'islam ». En 2014, c'est le médecin congolais Denis Mukwege qui avait été honoré pour son action en faveur des femmes victimes de violences sexuelles en République démocratique du Congo (RDC).

Martin Schulz et les présidents des différents groupes politiques du Parlement ont dû faire un choix difficile entre les deux jeunes femmes et deux autres personnalités en lice, le journaliste d'opposition turc Can Dündar et le leader historique des Tatars de Crimée Moustafa Djemilev.

« Prison de journalistes »

Can Dündar, ex-rédacteur en chef d'un journal d'opposition turc exilé en Allemagne, n'a pas tardé jeudi à adresser ses félicitations aux deux lauréates. « Nous soutenons votre combat courageux contre les forces obscures qui visent à dégrader les femmes », a-t-il dit sur son compte Twitter.

photo Balint Szlanko, archives AP

Lamia Haji Bachar

Accusé d'avoir divulgué des « secrets d'État », il a été condamné en mai à cinq ans et dix mois d'emprisonnement en Turquie. Il est également sous la menace d'une autre condamnation pour des liens présumés avec l'organisation de l'ex-prédicateur Fethullah Gülen, accusé d'être le cerveau du coup d'État manqué de mi-juillet en Turquie.

Présent mercredi au Parlement européen, il avait appelé les Européens à protéger ses collègues, estimant que « la Turquie est aujourd'hui la plus grande prison de journalistes » au monde.

Quant à M. Djemilev, il a consacré sa vie à lutter pour le droit des Tatars à vivre sur leur terre d'origine, la Crimée, un combat qu'il continue de mener de Kiev où il vit en exil depuis l'annexion en 2014 par la Russie de cette péninsule ukrainienne où il est interdit d'accès pour cinq ans.

Le prix Sakharov, doté de 50 000 euros (près de 73 000 $), doit être remis aux lauréates lors d'une cérémonie programmée le 14 décembre à Strasbourg.

-Avec lapresse.ca