Les plus hauts magistrats d'Angleterre vont se pencher à partir de jeudi sur des recours contre la décision de la première ministre Theresa May de lancer la procédure du Brexit sans consulter le Parlement.

Ces actions en justice ont été introduites par des citoyens aux profils très hétéroclites, allant du coiffeur à la gestionnaire de fonds de pension.

Theresa May les accuse de vouloir « contourner » le résultat du référendum du 23 juin, qui a vu les Britanniques opter à 52 % pour sortir de l'Union européenne. Eux estiment que le vote était « consultatif » et doit être avalisé par les élus au Parlement, ou encore que seul le Parlement peut défaire des droits accordés aux Britanniques en tant que citoyens européens.

« C'est le Parlement qui nous a fait entrer dans l'Union européenne et seul lui peut nous en faire sortir », explique l'un de leurs avocats, John Halford.

Certes, les députés ont accepté le résultat du référendum - même si la majorité d'entre eux ont milité pour rester dans l'UE. Mais des débats sur la question du Brexit au Parlement pourraient prendre des mois, et retarder le processus. D'autant que certains élus, en particulier l'opposition travailliste, veulent peser sur les termes de la sortie, craignant qu'elle soit trop brutale.

Or Mme May a annoncé qu'elle voulait enclencher avant fin mars 2017 l'article 50 du Traité de Lisbonne, préalable aux négociations de divorce qui doivent durer deux ans maximum. Elle argue que mettre en oeuvre le Brexit est une prérogative de l'exécutif qui ne requiert pas l'approbation du Parlement.

Pour ménager les parlementaires, Mme May vient cependant d'accepter le principe d'un examen régulier de sa stratégie, à condition qu'il ne remette pas en cause le vote du 23 juin, et un débat devait avoir lieu mercredi après-midi sur la question.

Menaces sur les réseaux sociaux

Les premiers recours en justice ont été introduits par un coiffeur de 37 ans, Deir Dos Santos, et la cofondatrice du gestionnaire de fonds SCM Direct, Gina Miller. Un autre a ensuite été déposé par un groupe se faisant appeler « citoyens ordinaires ».

« Mon client a été très surpris que la première ministre l'accuse de vouloir subvertir la démocratie », a déclaré l'avocat de M. Dos Santos, Dominic Chambers, à l'AFP.

Selon lui, son client n'a même pas voté pour rester dans l'UE. « Il accepte totalement le résultat du référendum. Mais il ne constitue qu'une des étapes nécessaires ».

Signe des tensions qui persistent dans un pays qui s'est déchiré pendant des mois sur la question européenne, M. Dos Santos préfère se faire discret après avoir reçu des menaces sur les réseaux sociaux.

« Tuer » le Brexit en le retardant

Des manifestants ont également campé devant les bureaux des avocats des plaignants, dont fait partie Grahame Pigney, expatrié en France et qui se dit « Européen convaincu ».

Avec son fils de 22 ans Rob, qui vit à Gibraltar, un arboriculteur du Pays de Galles et un étudiant londonien, ils ont rassemblé près de 150 000 livres (environ 243 000 $ CAN) auprès de donateurs pour se pourvoir en justice.

« Le Parlement a donné aux citoyens britanniques certains droits fondamentaux comme la liberté de mouvement (...) et seul le Parlement peut les en priver », a déclaré à l'AFP M. Pigney, un ancien directeur informatique.

Au lendemain du référendum, de nombreux citoyens britanniques déçus du résultat avaient cherché un moyen légal de le faire annuler. Cela semble aujourd'hui très improbable, mais Theresa May accuse les auteurs des recours de viser en fait le même but.

« Ils ne veulent pas que le Brexit se passe bien, ils veulent le tuer en le retardant », a-t-elle déclaré.

L'audience devant la Haute Cour de Londres doit durer trois jours. La décision des juges n'est pas attendue avant plusieurs semaines. Et le perdant fera certainement appel, estiment les analystes, qui s'attendent à ce que le cas atterrisse alors directement devant la Cour suprême.